Retour à la RALM RALM no 102 - Catalogue du sériographe de Pascal Leray [Ecrire à Pascal Leray]
Chantier n°03 - Vers le spectacle interdit
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 Article publié le 19 septembre 2017.

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Années 1991-1992


INDEX

Carnet sans séjour - Narrations sans lendemain : Petrouchka, L’enfant sans faim - Poèmes du mauvais homme - Construire une guitare, poème fantôme - Balbutiements de prière agnostique


BIBLIOGRAPHIE

« Peine perdue » (récit) - L’Imbriaque, n° 1, 1991
* L’intérieur extérieur. Nouvelles de la réalité (récit) - Le Chasseur abstrait éditeur, coll. « Djinns », 2009


DICTIONNAIRE CRITIQUE

Au clair de la lune *** Connexion *** Doute *** Icare *** Immobilité *** Oiseau


CARNET SANS SEJOUR

Je m’arrête un instant devant le Carnet sans séjour. Le fascicule initie un cheminement unpeu obséquieux qui m’a ensuite conduit au Spectacle interdit, carrément mortuaire.

Je ne sais même pas aujourd’hui s’il faut considérer ce recueil comme un essai avorté ou comme un essai clos. Il n’a pas vraiment été achevé mais il n’est pas non plus réellement inachevé. Plus exactement, il est resté en l’état. Ce qu’il esquissait a été happé par une succession accélérée d’épreuves qui ont balisé, de façon plutôt resserrée, l’année 1992.

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Je n’en étais pas là alors. Le recueil, mal fichu et "sans forme" comme qui dirait, est une borne qui n’indique peut-être aucune voie. L’ensemble n’a été restauré qu’en 2016.

Une curiosité. Non seulement j’ai abandonné le projet de ce recueil dans les années qui ont suivi mais les poèmes qui le composent, à quelques exceptions près, sont restés dans les limbes d’un livre auquel toute existence a été déniée.


LE SPECTACLE INTERDIT

Il a fallu plusieurs mois pour que se cristallise l’expérience du Spectacle interdit., un recueil tout en épure, ce que je ne tente que rarement. C’est le résultat ponctuel de plusieurs mois de tâtonnements, d’errance spirituelle même. Par la suite, j’ai abandonné toute spéculation spirituelle mais à ce moment, cette inspiration hantait paradoxalement ma poésie. Le livre se conçoit comme une séquence théâtrale, un peu, avec un dénouement qui ressemble à un coup de théâtre mais qui prend également la forme d’un énième jugement dernier. Une fois achevé, le recueil est resté en l’état.

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Il serait assez difficile de dissocier la genèse du Spectacle interdit de celle du Récit ruisselant. Ce sont des cahiers remplis de vers et de notations qui semblent observer une existence encore distincte. Mais Le spectacle interdit a ses satellites propres, sa clausule même, enclose dans une méditation et une fascination également morbides, Ultime chute au spectacle.


SORTIE DE SECOURS

Haïr les dimanches ; les haïr savamment.

Je me suis éveillé, il était peut-être une heure dans l’après-midi. J’ai un mal de crâne qui couve ; j’espère...

Je suis descendu pour prendre mon café. La radio jouait un air de variété d’une drôlerie affreuse. Il n’y avait presque plus rien dans la cafetière. Aussi, j’ai pris le thermos et j’ai mélangé dans une tasse les fonds de deux ou trois récipients différents, tandis que l’animateur de France Inter, un jeune homme évidemment dynamique, interviewait un gosse qui lui parlait de se battre. Qui n’aimait pas se battre. Qui ne comprenait pas qu’on puisse se jeter des bombes nucléaires sur la tête.

J’ai laissé la radio geindre et je suis remonté pour boire mon café ici même, à mon bureau, où tout se décide qui n’aura jamais lieu.

Cette nuit, au fond, je ne l’ai pas dormie : je l’ai vécue. Je me souviens m’être éveillé à plusieurs reprises hors de mon lit, étendu à même le sol. Je n’ai jamais mis de musique. Je ne crois pas avoir rêvé. Je me suis éveillé en outre à une heure trop tardive pour me laisser le souvenir de songes dont je crois qu’ils apparaissent entre cinq et sept heures, sans le désir d’y revenir, non plus que celui d’y aller.

Pourtant j’y suis maintenant.

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Ce que cette journée attend de moi, je n’en sais rien du tout. J’aurais pu aller dans un musée. Cela ne me disait rien ce matin. Ce dimanche matin. Je pourrais encore... emplir une baignoire de café, m’y boire : ce serait évident. Et quelle chimère ! Je voudrais imiter Marat.

Me noyer dans mon propre café, voilà qui semble effectivement mon choix.

Je suis redescendu, la radio fonctionnait toujours, l’animateur non plus ne voudrait pas se taire. Il interrogeait un paisible vieillard sans doute sénile mais charmant. Il le questionnait sur son enfance, ses années d’obéissance. « Qui vous terrorisait ? Aviez-vous peur d’être mangé ? Ou qu’on vous crève les yeux ? » Le café, j’en avais préparé du frais, était passé tout entier à présent. Je m’en suis servi une tasse avant de remonter.

Goutte à goutte, le café nourrira ma folie et ce que j’espère mon imagination. Il faut que je sois inspiré, n’en déplaise à Flaubert ! Il faut que je puisse l’écrire, enfin. Il faudra peut-être que je sorte mais le principal sera de pêcher des idées. J’en avais, il y a deux semaines précisément, des dizaines et des dizaines qui fleurissaient comme au printemps de mes esprits. Tout s’est fané en peu de temps.

Je voulais écrire des histoires, pensez donc. Des histoires de gens, de gens qui ne sont pas nécessairement moi, qui le seraient devenus de toutes façons. Voilà ce qui a fini par m’irriter. J’avais une histoire. Elle me tenait à cœur. Aujourd’hui, je la trouve creuse et inutile. Ce sentiment, je l’éprouvais déjà en l’écrivant alors dans ses grandes lignes. Mais je le « sentais », si j’ose dire. J’avais à son égard un sentiment tout à fait poétique. Il s’est évanoui.

Un tas d’autres histoires, que je voulais écrire, sont restées lettre morte. Il faudra bien que je travaille cela avec sérieux un jour ou l’autre. Je n’ai pas le choix. Je n’ai rien d’autre à faire qu’écrire, c’est surtout cela. Et je perds mon temps à écrire ces lignes. J’ai comme la sensation que ce sont les seules que je puisse écrire. Car elles ne demandent rien et surtout pas à être lues. Elles ne me dictent aucune fin, aucune intrigue. Elles sont très reposantes.

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Car c’est dimanche. Il faut que je me repose. Il faut que je me repose de n’avoir rien fait tout le long de cette semaine. Je dois me reposer. Me reposer l’esprit mais comment faire ? Il faudrait pour cela que je l’aie fatigué !

Alors je me sers un troisième café en espérant, mais vaguement, que celui-ci m’éveillera ou qu’il m’annoncera. Je me sers un troisième café en écoutant les premières mesures d’un opéra de Bartok et tout ceci, c’est tout ce qu’il me faut, lorsque je veux combler ma solitude.

Toujours je me dorloterai de la voix de cette cantatrice.

On peut avoir raison de ne pas croire à la musique. Elle est d’un autre monde. Mais j’ai ce vieux proverbe en tête qui disait, en somme, qu’on a toujours raison d’avoir tort.

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