Catalogue de Valérie Constantin
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Les pâquerettes

L’artiste perdit ses parents, elle avait trois ans. Voir [Trauma]

 

Je suis orpheline depuis l’âge de 3 ans. Mes parents sont morts dans un accident de voiture en venant me chercher chez mes grands-parents maternels. C’est le manque originel. Un manque qui ne se comblera jamais. Un trou. Un trou noir dans ma vie. Je les ai attendus longtemps… mais ils ne sont jamais venus. Et c’est à l’école que j’ai su. « Tes parents sont morts ! » C’est l’écroulement. « Ce n’est pas vrai… Est-ce que c’est vrai ? » La vie a changé. Pour toujours. Des souvenirs ? Aucun. Des photos, pour mettre des visages sur papa et maman. Pas le droit d’en parler, ça fait de la peine. Une idéalisation se crée, loin de la réalité. J’ai porté et je porte les stigmates de la tristesse et de la peine des autres. Et moi ? Et ma peine à moi ? Et ma solitude ? Mon manque ? Qu’est-ce que j’en fais ? Je le trimbale depuis longtemps maintenant. Cette culpabilité a pourri ma vie. Et elle continue sans arrêt. Je me sens toujours coupable. Je fais les choses à l’envers, je détruis. Et j’en souffre. Et j’accepte tout ce qu’on m’impose depuis le début. J’ai peur : Peur de vivre.

J’ai pourtant un souvenir que je n’ai compris que très tard car ma grand-mère a su me dire, et a pu me dire, ce qu’il en était. C’est un après-midi, je ramasse des pâquerettes avec ma tante Louise, sœur de mon grand-père maternel, dans un champ à Mazères. Mais on ne les cueille pas. Avec une petite pelle on prend les bouquets de pâquerettes avec de la terre. On les pose soigneusement dans un panier en osier plat. Puis on va chez tante Louise et on dépose ces mottes dans une vasque et ça fait un très joli bouquet ! Et comme ça les fleurs vivent longtemps.

Je ne comprenais pas ce souvenir. Je pensais même que je l’avais inventé. Mais, adulte, alors que je me promenais avec ma grand-mère et que nous passions devant ce champ, je lui racontai le drôle de souvenir que j’avais. Je pensais qu’elle allait trouver cela bien étrange. Mais elle fut saisie. Et elle m’a dit : « Valérie, c’est le jour où l’on a enterré Jeannine et Gérard. C’est le jour où on a enterré mes enfants. C’est tata Louise qui t’avait gardée cet après-midi-là… »

Je me souvenais de ce jour-là. Je cueillais des pâquerettes et je ne savais pas pourquoi. Mais je reviendrai sur toute mon histoire plus tard. Une histoire compliquée, semées de pertes brutales, une histoire où je n’ai pas joué. Mais ce qui est sûr, c’est que ma vie entière est régie par la peur de perdre l’autre. L’autre, celui que j’aime. Et cette peur m’a fait tout accepter, jusqu’à m’annihiler. C’est ce que je fais de mieux.

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