Catalogue de Valérie Constantin
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Questions de Benoît Pivert à Valérie Constantin

À propos d’art-thérapie.

Sortir du milieu traumatisant, s’échapper et devenir soi-même.

Un atelier d’art-thérapie n’est pas un atelier d’art, ce n’est pas non plus un divan de psychanalyste.


Image : Aquarelle
Valérie CONSTANTIN

Benoît PIVERT. Vous avez écrit : « l’art-thérapie a répondu à mes attentes et m’a réconciliée avec mon histoire, avec ma vie et avec moi-même ». Est-ce à dire que c’est la souffrance qui vous a conduite à l’art ?

Valérie CONSTANTIN. Peut-être pas la souffrance, mais un besoin impérieux de m’exprimer, de dire mon histoire... Sans doute ce besoin d’expression nié durant mon enfance et mon adolescence, dû à une histoire banale mais particulière.

Quand on nie la parole pour les choses importantes.

Quand on est pris en otage, en quelque sorte.

Dire l’indicible.

Sortir du milieu traumatisant, s’échapper et devenir soi-même.

Les arts plastiques se sont-ils immédiatement imposés à vous ou avez-vous cherché votre voie entre dessin, écriture et peut-être musique ?

Passion des mots, mais trop grande difficulté à mettre des mots à jouer avec les mots. À m’exprimer convenablement avec eux. Cette impossibilité, toute personnelle et donc totalement subjective, ne me permet pas de dire ce que je veux dire. Je ne peux l’exprimer.

Les arts plastiques me laissent une liberté que les mots me refusent. Me cacher tout en disant, en montrant. Un médium qui laisse à chacun la liberté de voir de choisir ce qu’il veut, ce qu’il sent. Un médium qui donne à chacun la liberté de comprendre et d’entendre, qui renvoie à sa propre image.

Diriez-vous que le contact des couleurs vous apaise davantage que la musique ?

Non. Ce n’est pas une question d’apaisement. J’écoute beaucoup de musique, je travaille de plus souvent en musique. Je ne la pratique pas, je me contente de l’apprécier... Et le processus de peindre ne m’apaise pas, au contraire. C’est une fois la toile terminée, qu’il y a un soulagement, une espèce de fierté, type : j’y suis arrivée. La respiration qui reprend. Le souffle.

Dans le processus créatif, il y a une telle tension, une telle concentration, que l’on est complètement dans ce que l’on est en train de faire, d’exécuter.

L’apaisement vient peut-être ensuite, car une fois terminée cette tension, cette concentration se relâche... on peut revenir dans le monde.

Comment passe-t-on de la création à la thérapie ?

Par formation et intérêt personnel... pour des raisons économiques (choquant !)...

Le statut d’artiste étant inapproprié, l’artiste, qui doit vivre comme tout le monde, doit souvent trouver un moyen pour survivre et pour continuer à créer...

Travaillez-vous en concertation avec des psychothérapeutes ou les deux démarches sont-elles indépendantes ?

Si le problème me dépasse, je conseille à la personne d’aller consulter... mais souvent les personnes qui viennent travailler avec moi suivent parallèlement une psychanalyse, rarement une psychothérapie d’un autre type... pas en même temps en tout cas.

Vous écrivez que l’art-thérapie s’adresse aussi bien à l’enfant hyperactif, qu’à l’adolescent en rupture ou encore à l’adulte déprimé. Existe-t-il toutefois un « patient-type » - pour autant que vous parliez de patients ?

Non. Mais les résultats ne seront pas les mêmes en fonction du type de client.

Il est évident qu’une pathologie lourde ne ressentira pas le même type d’effet...

Pas de patient-type mais une personne qui a forcément envie de se servir d’outils plastiques, ou de musique, ou de s’exprimer avec son corps par le biais de la danse. Quelqu’un ayant une sensibilité et un intérêt pour la couleur et la forme par exemple, ou pour la musique. Quelqu’un qui pourra dire avec ces outils parce qu’elle ne peut pas dire avec les mots.

Quelle distinction faites-vous entre « art » et « expression » ? Peut-on qualifier d’« art » toute expression sur le papier, même la plus rudimentaire ?

Justement je parlerais plutôt d’expression-thérapie, avec des outils artistiques, plutôt que d’art-thérapie.

Parler d’art pour parler de thérapie est quelque chose qui me gêne. Je ne crois pas qu’en « art-thérapie » on fasse de l’art... on se sert de moyens, de médiums artistiques, tels que la peinture, le papier, la toile, un instrument de musique, pour dire son mal-être, sa souffrance, ses traumas....

L’art c’est celui des artistes. Question : qu’est-ce qu’un artiste ?...

Quant à l’expression elle peut exister chez tout le monde, si, bien sûr on lui en donne les moyens, autant physiques que psychiques.

Et je ne crois pas que toute expression sur le papier soit de l’art... juste un signe, une forme une couleur... une expression d’un état momentané. Dans l’atelier, la personne ne vient pas faire de l’art, elle vient en découdre avec elle, sa vie, ses pensées, ses douleurs, ses angoisses, ses blocages, avec des moyens plastiques. Elle vient pour tenter de débloquer, débusquer ce qui est resté coincé au fond d’elle-même... forcer son inconscient.

Et si ensuite, elle veut tenter de devenir artiste, si on peut toutefois le devenir, la démarche n’a plus rien à voir... et c’est ailleurs qu’il faut aller et dans un tout autre état d’esprit.

C’est pour cela que je crois qu’appeler ce type de thérapie « art-thérapie » prête un peu à confusion.

J’ai personnellement toujours eu peur de la feuille blanche « par manque d’imagination ». Est-ce que l’imagination est quelque chose qui se travaille ?

La feuille blanche par manque d’imagination ?!... Ou plutôt par difficulté de dire vraiment, par blocage ?

« La raison, c’est l’intelligence en exercice ; l’imagination c’est l’intelligence en érection. » - Victor Hugo - Extrait de « Faits et croyances ».

Vous travaillez non seulement à partir de la peinture et du dessin, mais aussi de la photo. La photo exprime-t-elle aussi aisément l’univers intérieur ?

Oui, tout à fait. Surtout aujourd’hui avec les moyens qui existent, notamment l’appareil numérique et les programmes informatiques... il n’y a casi aucune limite... les couleurs, les formes, les mélanges, les transformations. On peut trouver là de quoi s’exprimer... c’est infini, sans limites.

Elle peut être image du passé, image d’un phantasme, image d’un moment, image de soi, image d’une idée, etc. les trucages techniques permettent tout ou quasi. Et là n’intervient la peur devant la feuille blanche. Je crois que la photo numérique peut dynamiser l’expression.

Les dessins ou tableaux des dépressifs sont-ils à l’image de leur paysage intérieur ? Dans le même ordre d’idées, que peint-on après un deuil si ce type de généralités a un sens ?

Que peut-on exprimer après un deuil ?... Le manque, la colère, la tristesse, la solitude, l’injustice, la souffrance, la culpabilité, mais aussi des souvenirs... Quant aux formes, aux couleurs, aux médiums choisis, ils sont très variés... peut-être une constante des premiers dessins avec l’utilisation du noir et du vide (le blanc du papier)... généralement des couleurs sombres... pour aller doucement vers le portrait de la personne disparue (après bien des séances) qui peut être alors éclatant de couleurs, de lumière (pas systématiquement)...

Et bien sûr qu’une image créée par un dépressif est image de son paysage intérieur... c’est ce mal-être qui le ronge, son inappétence de la vie qu’il vient travailler à l’atelier. C’est par cette redécouverte de la sensorialité qu’il pourra aller vers une restauration narcissique, une revalorisation de sa personnalité.

Qu’est-ce qui s’exprime davantage lorsque l’on peint, le conscient ou l’inconscient ?

L’inconscient devenu conscient ????.....

- Constate-t-on au fil de l’amélioration thérapeutique une évolution dans le choix des couleurs ?

Cela dépend de chacun... le changement vient surtout d’une meilleure maîtrise des outils au fil du temps, donc d’une plus grande liberté au niveau de l’expression. La technique étant acquise, elle laisse une plus grande liberté à l’expression proprement dite. La crainte de mélanger les couleurs pour aboutir à ce sempiternel marron n’existe plus. Une forme est tracée avec plus de sûreté... sans doute le dessin est plus maîtrisé, plus travaillé et donc beaucoup plus riche au niveau du contenu.

Vous dites sur votre site que vous n’interprétez pas les dessins. N’y a-t-il pas pourtant une demande en ce sens, le désir de voir le sens de son travail décrypté ?

Je suis là en tant qu’accompagnatrice. Le décryptage n’est pas mon propos. C’est le processus de la personne qui m’intéresse, et c’est toujours qui quelque part « décrypte ». Et je dirais mieux encore, il me semble que c’est à elle que revient cette démarche... c’est à elle à dire... pour provoquer cette revalorisation de sa personnalité tant recherchée... Je suis plutôt là pour provoquer, donner les outils, encourager, soutenir, comprendre... et jamais pour juger, ni de la qualité, ni du contenu. Un atelier d’art-thérapie n’est pas un atelier d’art, ce n’est pas non plus un divan de psychanalyste.

Au-delà des motifs représentés, accordez-vous un sens particulier au choix de telle ou telle couleur, le violet ou le jaune, par exemple ?

Non... je suis plus interpellée par la chaleur de la couleur ou sa froideur, par sa clarté, par sa saturation... par les contrastes plus que par la couleur elle-même.

Je suppose qu’en posant cette question, vous vous référez au langage des couleurs... langage très hasardeux parce que les images et les symboles que peut véhiculer telle ou telle couleur sont tellement variables et dépendent surtout de notre appartenance à un groupe culturel défini. Donc aujourd’hui avec le brassage culturel qui existe, ce groupe culturel n’est plus si définitif ou si pur... par exemple, le rouge peut être symbole de joie, de vie, de créativité mais aussi de danger, de colère !!!

Je regarde l’ensemble de l’image, sa clarté ou son chaos, son espace, sa respiration ou son étouffement. Je m’attache encore une fois au processus d’expression et non pas à une analyse psychanalytique d’une image.

Gardez-vous toujours une certaine distance ou êtes-vous parfois trouble, voire inquiète face à certains dessins qui pourraient refléter une aggravation de l’état psychique ?

La distance est toujours là... elle est primordiale. On peut faire preuve d’empathie sans se laisser envahir... sinon notre présence n’a plus aucun sens.

Pour en revenir à votre question proprement dite, il m’est difficile d’y répondre, car je n’ai jamais encore eu à faire face à ce type de situation.

Lorsqu’une scientifique suédoise fait état de l’amélioration de l’état de santé de femmes septuagénaires auxquelles on a recommandé la fréquentation régulière des musées, peut-on là encore parler d’« art-thérapie » ?

Pour moi, non, bien évidemment. Occupation-thérapie, peut-être ? Est-ce que participer à une activité régulière et intéressante ne donnerait pas les mêmes résultats ? Une question, entre autres, que je me pose...

Certains philosophes ont beaucoup parlé des vertus thérapeutiques de compositeurs célèbres parmi lesquels le nom de Mozart revient le plus souvent ; y a-t-il de même des peintres dont vous recommanderiez les œuvres comme remèdes au mal-être ?

Je ne sais pas si la contemplation peut avoir une vertu thérapeutique et être un remède au mal-être... Mais si oui, pourquoi pas Matisse, Gauguin, Monet, les Impressionnistes... tout ça est tellement subjectif... Est-ce parce qu’on est tellement envoûté par un tableau, qu’on le regarde, qu’on le fouille, qu’on se laisse transporter par sa brillance, ses scintillements, par sa quasi-perfection... moment d’absence à soi qu’on en oublie son mal-être... très momentanément ? A ce moment-là, n’importe quel peintre dont la technique, le sujet, l’expression, la démarche vous touchent...

Vous peignez et faites peindre des mandalas ? Est-ce à dire que vous êtes influencée par le bouddhisme ?

Très souvent, et là, c’est le cas, quand on parle de mandala on pense automatiquement au bouddhisme. Et pourtant, il existe des mandalas un peu partout dans le monde et depuis des siècles, même dans nos régions européennes.

J’utilise le mandala comme image archétypale.

Le cercle du mandala permet de travailler la couleur, le volume, le rythme...se projeter soi et le monde, soi et les autres, intérieur du cercle et extérieur... notion de transformation en allant d’une étape à une autre en remplissant les cercles concentriques les uns après les autres...

Pensez-vous que les techniques de méditation inspirées par le bouddhisme comme le zen favorisent la créativité ?

Je ne sais pas... je ne la pratique pas... peut-être pour aider à la concentration...

Comme dans les techniques de peinture suomi-e, où la méditation est un passage obligé avant la pose du pinceau sur la feuille.

Vous vous référez aussi à Jung. Est-il plus populaire en Espagne qu’en France où les psychanalystes majoritairement freudiens et lacaniens le considèrent comme un mystique ?

On dit aussi qu’il se prenait pour un dieu...

Existe-t-il dans l’art-thérapie la notion d’échec thérapeutique ?

Je le pense, comme dans toute thérapie... je retournerais la question : existe-t-il vraiment en thérapie la notion de réussite thérapeutique ? Le mieux-être, le soulagement sans doute, mais la guérison ???

Que pensez-vous de tous ces artistes comme Van Gogh qui se sont suicidés ? N’est-on pas forcé de parler aussi des limites de l’art ?

L’art est un travail... être artiste est un métier (bien que beaucoup de gens en Europe en doutent)...

Quelle est sa limite ? De ne pas nourrir correctement l’artiste, de ne pas lui donner les moyens de vivre normalement, comme tout le monde, du fruit de son travail...

Quant au suicide, est-il directement lié à l’art ou plutôt à la maladie mentale ? Peut-être ne devrait-on pas mélanger les choses, et ne pas parler du suicide d’un artiste comme étant directement lié à son travail, c’est à dire son art.

Pour terminer sur une note plus optimiste, pouvez-vous nous parler de vos plus beaux succès thérapeutiques et des tableaux de vos patients qui vous ont le plus émue ?

Mes plus beaux succès ?... Curieusement, quand la personne, ayant terminé son travail avec moi, désire entamer une psychanalyse pour aller plus loin de sa compréhension d’elle-même...

Mon émotion n’est pas devant une image, mais devant le résultat provoqué par l’aboutissement à cette image... quant son auteur est bouleversé parce qu’il est arrivé enfin quelque part, là où il était nécessaire d’aller, malgré les peurs, les douleurs, les réticences, etc.

Merci infiniment pour cet entretien !

15 juillet 2006

2004/2022 Revue d'art et de littérature, musique

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