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Du professionnalisme en littérature
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 Article publié le 12 mars 2023.

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Au-delà de l’édition, au-delà des prix, au-delà de l’insertion dans les programmes scolaires, au-delà de l’épicentre des colloques... le professionnalisme, en littérature, c’est l’implacabilité envers soi-même, l’engagement sans faille dans une discipline, la soumission active à l’énergie démesurée de la création, la matérialisation optimale de son talent sur un temps long, plastique, indéterminé, sur une période qui peu à peu, progressivement, dessine l’architecture de ce que l’on appelle communément une oeuvre.
Le professionnalisme en littérature, c’est le travail permanent de la langue, une activité intense et spéculative, c’est aussi le talent de la restitution, celle d’une transformation littéraire de son vécu.
Au-delà de l’héritage et des futures publications, au-delà du post-temporel, c’est le présent ou hyper-présent qui seul compte.
Le professionnalisme, c’est un cheminement suffisamment lointain pour se rendre compte que rien ne sera jamais définitif, mais qu’une certaine unité peut être atteinte, afin - enfin - de se regarder pleinement et en toute quiétude dans son propre miroir.

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Commentaires :

  Non nova sed nove par Jean-Michel Guyot

Oui, tu es le conculcateur des peuples, le dominateur des trônes, et les hommes sont devant toi comme les grains de sable que soulève le vent du sud.

T. Gautier, Le Roman de la momie,1858, p. 327

En somme, tout ce qu’un écrivain digne de ce nom se doit de ne pas être !

*

Parfois un écrivain déroge, laissant, las de solitude, sa voix se mêler à la foule. Qu’il crie avec les seins s’il veut – tant qu’il peut – s’il le fait par fatigue, par dégoût de lui-même, il n’est en lui que du poison, mais il communique aux autres ce poison : peur de la liberté, besoin de servitude ! Sa vraie tâche est à l’opposé : s’il révèle à la solitude de tous une part intangible que personne jamais n’asservira. Un seul but politique répond à son essence : l’écrivain ne peut qu’engager dans la lutte pour la liberté, annonçant cette part libre de nous-mêmes, que ne peuvent définir des formules, mais seulement l’émotion et la poésie des œuvres déchirantes. Davantage que lutter pour elle, il lui faut user de liberté, incarner tout au moins la liberté dans ce qu’il dit.

Georges Bataille, La littérature est-elle utile ? Combat, 1944

Je ne saurais mieux dire.

Aucun programme ne se manifeste dans cette prise de position à la fois radicale et nuancée, alors que la guerre fait encore rage, qu’il nous faudra bientôt prendre conscience de l’ampleur des dévastations dans une Europe qui s’est détruite de s’entredéchirer et de l’indicible de la Shoah révélée à celles et ceux qui veulent voir, ce terme de catastrophe en hébreu, n’existant pas encore.

Un présent qui nous dure, d’où ce présent historique. Comment écrire après Auschwitz fut et demeure la question des questions en Europe. 

Après les victimes de la traite négrière arabe et européenne, après les victimes des colonialismes européens et japonais, après les victimes de la Russie soviétique et post-soviétique, après les victimes du génocide cambodgien et rwandais et en pensant aux victimes du génocide ouïghour encore en cours perpétré par la Chine. 

*

Au-delà de l’édition, au-delà des prix, au-delà de l’insertion dans les programmes scolaires, au-delà de l’épicentre des colloques... le professionnalisme, en littérature, c’est l’implacabilité envers soi-même, l’engagement sans faille dans une discipline, la soumission active à l’énergie démesurée de la création, la matérialisation optimale de son talent sur un temps long, plastique, indéterminé, sur une période qui peu à peu, progressivement, dessine l’architecture de ce que l’on appelle communément une œuvre.

Stéphane Pucheu, Du professionnalisme en littérature, mars 2023

On me disait souvent au lycée que le commentaire de texte était plus facile que la dissertation pure et dure, particulièrement en philo. Je ne suis pas d’accord.

La pensée d’autrui reste pour moi un véritable défi et un défi constant. L’honnêteté me contraint à relire et même à remâcher le texte afin de m’en imprégner, sans que je sois jamais sûr d’avoir perçu toutes les subtilités d’une pensée qui se dit autant dans ce qu’elle déclare que dans ce qu’elle tait.

Ce qu’elle tait, qui plus est, n’est pas de pure tactique : il s’agit d’aller au plus vite vers le noyau dur d’une pensée qui ne veut pas s’embarrasser de prolégomènes à n’en plus finir ni ne veut s’encombrer de trop de références explicites. Le noyau est suffisamment dense et complexe pour que son exposition justifie non-dits, raccourcis et allusions voilées.

On ne fait pas entrer une bibliothèque entière dans un livre, encore moins dans un article.

En revanche, l’on donne à voir en filigrane tout un arrière-plan dans lequel s’entremêlent biographie (parfois) et références « culturelles », essentiellement des lectures marquantes mais aussi des impressions et des intuitions qui s’y rattachent. Ce que Stéphane Pucheu définit comme étant « le talent de la restitution, celle d’une transformation littéraire de son vécu ».

Ce vécu reste pour une grande part mystérieux dans ses détails, ces mêmes détails étant pour ainsi dire élevés par l’auteur à la puissance de l’universel, et c’est précisément là, dans l’universel-singulier et dans sa puissante et vigoureuse restitution que se joue et le présent et l’avenir d’un écrivain qui grandit sous nos yeux, de publication en publication, avant de devenir un grand écrivain aux yeux de celles et ceux qui veulent voir et savent distinguer entre l’amateur sympathique et le vrai professionnel qui se moque bien des prix littéraires et autres bagatelles.

Tous les signes distinctifs du talent littéraire reconnu inventoriés par Stéphane Pucheu (édition, prix littéraire, insertion dans les programmes scolaires, colloques organisés autour d’un auteur) sont les signes extérieurs de richesse d’une personnalité fêtée de son vivant ou reconnue à titre posthume. Le fin du fin en France, c’est de voir ses œuvres complètes publiées de son vivant dans la célébrissime collection de la Pléiade. Le papier bible en accentue le caractère sacré ! Nous sommes dans le Livres des Livres, mais, hélas, ce n’est qu’un livre de plus, un de plus parmi tant d’autres.

Les médailles à titre posthume, ah la belle affaire ! Un Baudelaire, un Lautréamont, un Rimbaud méritaient évidemment mieux que le traitement que la société de leur temps leur fit subir. Hostilité ou indifférence puis reconnaissance posthume et postérité glorieuse ne réparent pas le tort commis, et ce tort, beaucoup d’écrivains contemporains en sont les victimes silencieuses de nos jours où sport et spectacles faciles, romans de gare et romans historique à la mords-moi-le-nœud occupent l’esprit du grand nombre.

La littérature reste un luxe abordable dont peu de gens veulent se saisir, lui préférant les facilités des jeux du cirque.

Les signes extérieurs de richesse littéraire n’impressionnent que celles et ceux qui ont besoin de la béquille du succès éclatant de tel ou tel auteur pour oser se lancer dans la lecture d’une œuvre ou, à défaut, d’une série de livres écrits pour un public ciblé par un marketing efficace. Ces sortes d’entrepreneurs de la chose littéraire sont les fossoyeurs de la Littérature.

Dans l’hyperprésent, dont Stéphane Pucheu souligne l’importance cardinale, se joue un en-deçà de toute la cuisine médiatico-littéraire avec son rituel des prix Goncourt, Renaudot, Femina, etc…, ses salons du Livre, ses dédicaces et interviews (un vrai marathon pour certains auteurs !) et ses émissions littéraires radio et télédiffusées. Je n’ai jamais aimé les grandes messes lors desquelles on célèbre « les grands hommes » et quelques femmes pour faire bonne figure ni les messes basses au cours desquelles on casse du sucre sur untel ou unetelle.

Cet en-deçà de la cuisine médiatico-littéraire, c’est l’écrivain au travail qui ne se soucie pas d’être édité par un « grand éditeur » ni d’être reçu à « La grande Table » de France Culture.

Je suis toujours frappé par le ton onctueux et la déférence mielleuse qui caractérisent la façon de parler et de s’adresser à des auteurs et autrices par le biais desquels le ou la journaliste se valorise en faisant étalage de son bon goût, de sa connaissance « profonde » de l’œuvre traitée lors des émissions de France Culture. On est de bout en bout dans le culturellement correct.

Je pense qu’un Rimbaud moderne s’amuserait en bon punk à roter et à péter à l’antenne, s’il était invité à l’une de ces émissions bon chic bon genre qu’on nous sert avec la régularité d’une horloge atomique. Un Bukowski rond comme une pelle à Apostrophe qui tente de soulever les jupes d’une autrice outrée par tant d’indécence, ça ne se voit pas tous les jours !

Breton se lamentait de ce qu’on ne pouvait plus faire scandale « de nos jours ». S’il vivait à notre époque, ce jeune dandy des Lettres qu’il était il y a un siècle aurait dû faire face à la censure affûtée des wokistes au moins autant qu’à l’hostilité des conservateurs bon teint qui redressent l’échine et reprennent du galon, depuis qu’un certain Grand Soir a vécu.

Que l’on soit dans la violence pure et simple dont firent preuve tchékistes ou gestapistes hier ou djihadistes récemment ou que l’on tolère dans l’espace public les sirènes des « Frères musulmans », des identitaires français ou des chrétiens intégristes ou non, c’est le même danger qui plane sur la liberté de tous en général et des écrivains en particulier.

Tous les « ismes » m’exaspèrent : fascisme, nazisme, conservatisme et communisme d’hier et d’aujourd’hui, djihadisme et wokisme en sus de nos jours, comme si ça ne suffisait pas : toutes idéologies confondues qui sont l’affirmation holiste du primat du collectif sur l’individu libre et autonome que se doit d’être tout écrivain sous peine de déchoir, s’il s’acoquine avec l’une ou l’autre de ces idéologies mortifères.

Assigné à résidence ethnique, « racisé », prisonnier à la fois d’un code génétique, d’une couleur de peau et d’une histoire collective, l’individu - écrivain, artiste ou citoyen lambda - n’est plus rien que la somme des sommations qu’il subit : sommé de revendiquer son appartenance à une communauté de destin qui vit et voit les uns opprimés, les autres oppresseurs.

Tel est le « beau » programme du nouveau totalitarisme « woke » qui signera, si nous n’y prenons pas garde, la fin de toute une tradition d’innovation qui nous distingue d’autres traditions qui, figées dans le temps qu’elles sont, ne savent répéter que la farce grotesque du Même. 

L’au-delà, quel qu’il soit, n’a aucune existence tangible ; je lui préfère l’en-deçà d’un présent-hyper-présent à l’œuvre dans nos œuvres. Cet en-deçà, il ne tient qu’à nous d’en faire l’usage qu’il nous plaît d’en faire à nos risques et périls.

Je l’ai sans doute décidé, mais assister à cette lutte solitaire de ma décision, à sa ténacité qui, dans l’élément de la faim et du vide, lui fait encore retrouver la satiété et la plénitude, sentir combien elle aurait besoin d’être décidée à nouveau et à nouveau jusqu’à l’épuisement, et, cependant, dans son détachement, apercevoir le point de vérité qui la rend souriante, tout cela aussi appartient à la décision, et je ne dois pas m’en affranchir, ni m’en laisser distraire.

Maurice Blanchot, Celui qui ne m’accompagnait pas, page 172, 1953 

 

Jean-Michel Guyot

14 mars 2023

 


 

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