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Ah quel bonheur d'avoir gagné la guerre !
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 Article publié le 6 décembre 2015.

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Nous allions par les bois et par les champs,
Sautant par-dessus les clôtures,
Cueillant au passage les fruits du printemps
Et nous roulant dans l’herbe avec les fleurs.
Jamais nous n’avions été aussi joyeux.
La guerre était finie, l’ennemi était mort.
Notre culture reprenait le dessus.
J’ai acheté un robot pour écrire à ma place.
Et lui et moi traversions la campagne
Pour nous livrer à l’ivresse du printemps.
J’étais nu, il était métallique,
Informatique, politique, plastique.
Ma foi me voilà tout excité !
Exultai-je en me jetant sur lui.
Ton écran est antireflet,
Donc je ne suis pas gêné par le soleil.
La guerre est derrière nous, ami robot.
Tant pis pour ceux qui sont morts.
La guerre fait le bonheur des vivants
Quand on n’en meurt plus.
Nous étions de joyeux compagnons,
Mon robot acheté en ligne et moi.
Et j’étais vivant, sans une trace
De sang, d’os, de chair, de tripailles.
On aurait dit à me voir si joyeux
Que je ne l’avais pas faite, la guerre.
Et pourtant on ne pouvait pas dire le contraire.
J’avais même la facture du robot pour le prouver.
Alors nous sommes allés à la pêche,
A la chasse et au petit bonheur.
Le jour était sans fin mais la nuit approchait.
On s’est couché l’un contre l’autre
Sous les pommiers en fleurs,
Dans l’herbe vert pomme.
Le soleil ne voulait pas se coucher.
Il savait des choses sur moi
Depuis que la guerre m’avait emporté
Dans un pays que je ne connaissais pas,
Que je ne comprenais pas,
Mais que j’étais capable d’aimer
Si ses habitants me foutaient la paix.
La nuit s’impatientait,
Riant de toutes ses dents.
Et le soleil devenait rouge, puis noir,
Puis il est devenu lune blanche
Et je me suis endormi.
Le robot ne dormait pas.
Il veillait sur moi.
Mais il ne pouvait pas m’empêcher de rêver.
D’ailleurs je ne rêvais plus.
J’en avais follement envie,
Mais l’armée m’avait confisqué
Mes vieux rêves de paix et de bonheur.
Et j’avais du sang sur les mains.
On ne rêve plus dans ces conditions.
On ferme les yeux, on s’endort,
On ne voyage plus, on reste.
Le ciel est descendu sur moi,
Avec tous ses mystères sans solution.
La terre n’a pas bougé sous mon corps.
L’herbe me chatouillait les narines,
Mais je n’avais pas envie de rire.
Mon robot a éteint son écran
Puisque je ne m’en servais pas la nuit,
Du moins par nuit noire,
Car les nuits blanches me guettaient.
Je ne veux pas devenir fou
A cause du gouvernement
Qui est censé me rendre riche.
Je ne veux pas devenir riche
Si la mort m’a rendu fou.
Et voilà que j’attends le matin,
Couché dans la campagne si douce au printemps.
Il peut pleuvoir, je ne me plains pas.
Il peut arrêter de pleuvoir,
Je ne pleurerai pas à la place de la pluie.
Voilà ce que je suis devenu.
Non pas à cause de la guerre
Qui est ce qu’elle est,
Je ne juge pas,
Mais parce que nous l’avons gagnée
Pour pouvoir acheter de sympathiques robots,
Tellement vrais qu’on dirait des vrais.
C’est ce qu’on appelle le bonheur.
On n’en connaît pas d’autre.
Ce n’est pas faute d’avoir cherché.
Mais on ne cherche plus.
On a trouvé et point final.
Voilà à quel point nous en sommes,
J’en suis,
Vous êtes.
Demain matin on peindra des maisons
Sur l’envers de nos tapisseries nationales,
Et des jardins avec des enfants
Et des putes pour les grands.
À moins que le sommeil me tue.
Il me tuera un jour ou l’autre.
Je veux dire une nuit.
A moins que le prospectus dise vrai.
« Nous avons gagné et nous gagnerons toujours !
Nous sommes la lumière de ce monde.
L’ombre a tort et si elle recommence,
Nous aussi on refait tout depuis le début.
Citoyens, jouissez de votre robot.
Ne vous privez pas de ce bonheur ! »
C’est fou comme la publicité
Et les promesses parlementaires
Illuminent nos jours
Mieux que la poésie !
Mais ils n’ont rien pour la nuit.
Pas encore, mais ça viendra.
Tout vient à temps
A qui ne sait rien faire d’autre
Qu’attendre.
Je me demande quand même
Pourquoi j’ai deux trous rouges
A la place du cœur...

 

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