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Fleurs de sel
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 Article publié le 12 juillet 2006.

oOo

5 poèmes noirs

 

Seras-tu de l’acier dont on fait les barreaux ?

 

C’était la nuit dernière. De tout, je me souviens !

Les jardins ouvriers, les pavillons en berne

Alignés sous la pluie. La lune exorbitée...

Je me souviens de tout ! De ce camion citerne

Qui contre toi ronflait.

 

Mina des nuits blanches ! Tu gisais sur le parvis

De la station service, comme ces vieux chiffons

Imbibés d’antigel, d’huile de vidange... Pouah !

Et tu sentais l’essence.

 

Quel horizon, Mina ? Ainsi vautrée, Mina,

Voyais-tu ton pays ? L’enfance de cocagne ?

Cette Algérie perdue de tes cendres années ?

Oh non ! Des pneus ! Des pneus et des tours efflanquées !

Et tes mains sur ton ventre.

 

Dans la brume en lambeau d’un petit jour torché,

A l’heure où réclamant juste un semblant de vie,

Tu te lèves : des pneus ! Des tours ! Des pavillons

De banlieue ! Et sur ta robe, mazout et sans plomb.

Debout ! On va marcher, Mina ! Un abribus

Et ses débris de verre...

 

Tu marches droit, Mina ! On va tirer la langue

Au mauvais oeil ! On va cueillir la fleur des villes !

Il y a je ne sais quelle rosée d’espoir

Évanescente ! Et tiède et tendre, s’efface la

Buée de tes lèvres, alors que le jour s’engonce

et que la vie débande.

 

Seras-tu de l’acier dont on fait les fusils ?

 

oOo 

 

J’en ai compté près d’un million,

Dans mon wagon de déportés.

 

Le million toisait sa millionne,

Qui plantée sur le quai glacé,

Avait la bouche et les yeux durs

Comme une porte de prison.

 

Ici, mêlée et confusion ;

Là, froide détermination

 

Nous grondions, elles se taisaient,

Raides, plus que barreaux de cages,

Et leurs regards, leurs moues disaient :

Vae victis ! Mort aux cochons !

 

J’en ai vu d’autres ; un plein wagon.

 

Le gros dénouait sa cravate

Et crachait son indignation.

Lui qui suait, lui qui pleurait ;

Un gars priait, un gars serrait

Le doudou, le bout de chiffon,

Le coquillage ou la photo,

Premier dessin, dernier lego.

 

Parfois rien.

Rien que sa douleur.

Aucun joujou ne te survit !

Même ton seau des plages blondes

Ne peut écoper mon chagrin.

 

La nuit venue, les quais déserts,

Je crois qu’il ne restera rien.

Pas un vestige ! Pas un parfum !

Pas un souvenir incertain !

 

Je voudrais bien que flotte encore

Un peu de brume sur le quai.

Un gribouillis dans la poussière !

La moindre trace de tes jeux !

Juste une pièce de puzzle,

Un crocodile en gélatine,

La craie passée d’une marelle,

Une pomme !

 

A demi croquée...

 

Rien.

Le train va.

Je me raccroche

A la vie. A ta force tendre.

A l’adulte bientôt naissant !

A ta grâce, à ta belle étoile,

A ton ange, à ton lendemain !

 

A moi, j’appelle toute force :

Lune pleine et souffles grondants !

Oiseaux du large et vents brûlants !

Tambours de guerre et goélands !

Déserts de sel ! Marées ! Volcans !

Avril !

Printemps !

Soleil levant !

Donnez des ailes à mon enfant !

Donnez des ailes à mon enfant !

 

oOo 

 

C’est de là que viennent ces trains

Qui crissent, du soir au matin,

Et sans vergogne, entre les rails,

Se déchargent de leurs entrailles.

Des trains tout gris, des trains poudreux,

D’un gris pouilleux et grumeleux,

Qui sur mes cailloux viennent chier

Et qui refoulent des clapets.

 

C’est là que luisent les traverses,

Quand, sur les voies, il pleut à verse ;

Elles ont la couleur du cambouis,

Des vieilles graisses ! C’est inouï

Pour des poutres de noble essence !

Chêne ou bien châtaignier, je pense...

Et là, mes cailloux charbonneux,

Me croiras-tu ? Ils étaient bleus.

 

C’est là que, crevant le charbon,

Cramponnées, plus que des chardons,

Des fleurs du désert ont poussé

Comme un bouquet de soie froissée !

Des crève-cœur ! Des perce-gel !

Comme la Frida du grand Brel !

Sur le crassier, elles ont surgit,

Amarrées, rivées à la vie,

 

Mes fleurs de sel, mes fleurs de guerre,

En jetant leur jaune et leur vert

A la figure des damnés !

Comme des fleurs du jour d’après...

Mes fleurs de lave, mes fleurs de lune,

C’est là mon unique fortune !

Mon jardin clos, mon testament !

Tout ce qu’il me reste, à présent.

 

oOo 

 

Nous étions sept.

Côte à côte, nous faisions rempart à la nuit.

Ma chute est veloutée ; nous étions sept.

Dents blanches, pour mordre le désert ;

Voiles, pour fâcher le vent !

En est-il encore six ?

 

Sept ! Nous étions, et sans fin mon corps glisse,

La voile est en lambeaux ! Je tombe !

Le vent me démantèle ! Aucun écho ! Aucune réponse...

En est-il au moins cinq ?

 

Épées blanches tirées d’un seul geste ;

Fourreaux chuintants, éclats dans l’œil de Dieu ; nous étions sept !

Et le vent me fractionne... Non ! Je n’en crois rien !

Aucune réponse, aucun écho...

En est il quatre, au moins ?

 

Galops de concert ! Défaire le temps !

Blanches capes, blanches crinières !

Ma chute infinie, le vent qui m’effiloche ; combien en reste-t-il ?

Au moins trois ! Au moins trois !...

 

Géants échevelés ; nous étions sept !

Nos poignes à en broyer la pierre ! Nous cognons les maisons, côte à côte,

Et les moutons fuyaient, fuyaient...

Sept troncs face à l’orage, sept colères,

Sept volontés, comme lave en fusion !

Et ma chute, le vent qui m’éparpille...

Au moins deux ? Réponds moi !...

 

Montagnes enneigées ! Continents de poudre ! Soleils froids !

Les vents s’étourdissant ! Nos poings au ciel !

Nous étions sept ! Combien en reste-t-il ?

Un ? Un seul ?...

 

Un seul, roulant sur lui même ? Seul, à la chute veloutée ?

Dernier à guetter l’écho ?

Mais la réponse a trop tardé ! Le vent me disperse !...

 

il n’en est plus aucun.

 

oOo 

 

Lune brioche. A pas coulés, gobant la nuit,

A pas coulés, depuis la fin des temps,

Un mort en croupe - lune brioche - J’ai chevauché,

Dans la laitance de l’entre-deux mondes.

 

Sur mon cheval, ton corps pendouille - quartier de viande -,

Pendouille en croupe en ballottant des membres.

Neige craquante. La pipe en bouche, gobant la nuit,

Je vais ma route sans relâche et plein nord.

 

Companero ! Et ce poète, tu l‘as connu ?

Lui qui disait le cristal sous sa gangue ?

Tu l’as connu, companero, ce bienheureux

Qui se repaissait de vie grouillonnante ?

 

Pourtant dimanche, sur le marché, roulant sa tomme

Comme un cerceau, une inconnue riait.

Comme un cerceau... Sur le marché, une ingénue

Roulait des yeux en nous voyant passer.

 

Dimanche encore, sur le marché, roulant des hanches,

Une inconnue s’est tournée vers mes yeux...

- “Ce mort en croupe, c’est un soldat ?” “Non, c’est un frère.” -

...Et s’est signée en couvant son effroi.

 

Companero, tu le sais bien, pourquoi j’avance

Dans la laitance de l’entre-deux mondes !

C’est chevaucher ou bien finir déguenillé

Et crucifié au mûrier de l’enfance.

 

Lune cognante,

Heure insalubre,

Marche coulée...

 

Et mon mort pousse un dernier pet lugubre.

 

 

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