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Génèse des séries
Le dossier du Récit ruisselant - Chantiers 4, 5, 6
![]() oOo Il se compose d’une série de cahiers, de poèmes, de dessins, de fascicules... On peut, éventuellement, y adjoindre quelques photographies. Il y a des enregistrements de chansons et des essais musicaux, même s’ils sont plus tardifs. La musique cerne le récit ruisselant, elle ne l’accompagne pas. Les poèmes ont plusieurs existences : dans les cahiers (ou plus rarement sur des feuilles volantes manuscrites), en tapuscrit (feuilles volantes ou plus rarement fascicules), en mode électronique enfin. « Ruisse » a longtemps été un dossier structurant de mes archives numériques. C’est désormais le quatrième des 21 chantiers. L’organisation actuelle permet de présenter le récit ruisselant dans son environnement textuel. Elle ne permet guère, en revanche, d’en marquer les étapes, les inflexions. Il y a pourtant l’amorce d’une chronologie.
La matérialité des faits ne recoupe pas cette chronologie. Les cahiers se recoupent fréquemment. Je les donne ici un peu en vrac.
Il convient de prendre en compte des pièces particulières telles que les fascicules « Qu’on se complaît ô plat », « Parois de Paris », les feuilles isolées de « Lysergie au cinéma »... La fresque murale fait partie des objets concernés également. Il convient d’être limitatif et restrictif. Les passerelles restent des passerelles. Des questions se posent pour « Histoire d’un arbre » et les poèmes bucoliques du Crépusculaire. Si l’on est restrictif, on écartera même les écrits postérieurs au cahier liturgique. Ce sont souvent des choses chaotiques et dénuées de clôture. Elles ne parviennent qu’à grand-peine à s’agréger. Le cahier Sous la cerisaie, on peut le retranscrire indéfiniment, il y a pas mal de variantes possibles. On n’obtient pas vraiment un recueil complet. Et c’est pire pour Gisements de passe-temps.
Le bloc des « Liturgies lysergiques » forme un sous-ensemble bien délimité quant à lui, même s’il s’étale dans le temps de novembre 1992 à mars-avril 1993. Elles scellent l’opération de dérèglement généralisé qui se manifestait dans le cahier des Ligaments d’été, jusqu’à épuisement. Mais en mars et même dès janvier 1993, il ne s’agissait plus du tout du Récit ruisselant mais plutôt de cette parenthèse « jungienne » qu’a été « Hiérogamie X » (qui n’a jamais connu de forme stabilisée non plus). Au chapitre des distorsions temporelles, il faut encore mentionner une série relative au café qui a connu plusieurs non : « Tasse à café, premier périple », « Périple du café » ou encore « Comédie du café », d’où découle pour ainsi dire un laboratoire de procédures permutatives qui augure du projet Avec l’arc noir. La série est particulière, désordonnée et inaboutie. De loin en loin ces poèmes retracent l’évolution de diverses influences. Le premier d’entre eux est inclus dans la « Suite du mauvais homme », qui doit remonter au tout début de 1992 (« je me suis rencontré / dans une tasse de café »). Le motif est resté en jachère jusqu’à l’automne, je pense, le café devenant alors un des éléments de l’alchimie psychique que je projetais en me nourrissant de Jung, de psychiatrie clinique ou encore d’antipsychiatrie.
Le café est réellement traité comme un matériau psychique brut dans ces poèmes. il faut adjoindre à cet ensemble une divagation en prose (« Il y a si longtemps que j’ai bu cette tasse de café ») qui se nourrit elle aussi, assez nettement, de mes lectures psychiatriques du moment. Le cycle caféïque a connu un autre développementavec les jeux de permutation qui sont venus se greffer, assez arbitrairement, sur une page isolée,une prose descriptive au ton neutre (« une tasse de café et une cartouche d’encre au sol »). Il y a eu toute une série de variations de cette même séquence, du coup. Je ne sais si je les ai toutes conservées, je suppose que non. Enfin, de « Construire une guitare », il reste un dessin accompagné de l’amorce de ce cycle et l’enregistrement sur bande magnétique d’une lecture du cycle complet qui a permis de restaurer l’ensemble, le tapuscrit initial étant perdu. Le cycle est peut-être postérieur au Récit ruisselant, bien qu’il paraisse plutôt lui être antérieur (mai-juin 1992 ?) On peut envisager une répartition du « poème général » Le récit ruisselant entre prélude, interlude et postlude. Ce qui engagerait une notion de jeu, point plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. Où devraiten outre se conclure le postlude ? Les poèmes de l’année 1993 jusqu’au début de 1994 se ressemblent jusqu’à se confondre, dans leur incomplétude chronique. L’alchimie prend un ascendant croissant et, parallèlement, les systèmes de permutation se multiplient. C’est un temps de peu d’aboutissement. Aux phases de grande productivité (Le récit ruisselant, Avec l’arc noir ou, plus tardivement, Le projectionniste) ont succédé assez logiquement des phases de tâtonnements, ou de désolation. De repli, même, par la suite. Le bon sens, même si l’on devrait s’en méfier, nous conduira plutôt à clore l’épisode ruisselant au Ligaments de décembre, sous une forme ou une autre. A l’automne 1992, je me suis piqué d’intérêt pour l’alchimie. Après une série de lectures liées à la psychologie et à la psychiatrie (Roheim, Rosenfeld), je me suis intéressé à Carl Gustav Jung. Conjonction mallarméenne : le langage alchimique qu’exalte le poète, le psychologue en donnait une traduction quasi structurale et liée aux processus psychiques.La permutation devenait pratiquement une traduction de la « transmutation alchimique ».
Au début de l’année 1993, l’emprise mallarméenne a repris une emprise qui s’était pourtant atténué, après le « choc initial ». Le jugement de rien, une narration aux inflexions tortueuses et au phrasé alambiqué a connu deux versions, l’une en vers éclaté et l’autre en prose alambiquée. Il ne reste que la prose aujourd’hui. Avec l’alchimie, a reparu une pression mystique qui ne s’était pas vraiment manifestée depuis mes écrits d’adolescent et le récit Au-dehors de toute lumière en 1988. Ce semblant de conversion marque le point culminant – et aussi le déclin – de mon attirance pour la psychologie de Jung. La tentation de la croyance est devenue très forte, à un moment. Bizarrement la lecture de Siva de Philip K. Dick a dû amplifier et dérégler un peu cette évolution et ainsi neutraliser quelque peu l’influence première de Jung, dont le caractère réactionnaire m’apparaissait plus manifestement à la lecture de l’essai intitulé Aspects du drame contemporain. Cette thématique mystique s’est dissoute peu à peu au fil des tâtonnements qui ont jalonné l’année 1993. Dans le courant de l’été, j’ai acheté un petit livre intitulé L’actualité de Fourier. C’est un ouvrage très enthousiaste et qui offre une excellente introduction à cet excellent philosophe, théoricien des « séries passionnées » et de l’organisation « sériaire » de la société. Je n’ai pourtant pris pleinement conscience du rôle de Fourier dans l’histoire du signifiant « série » que quelques années plus tard, en lisant Gérard de Nerval cette fois. A l’automne, j’essayais encore (sans grand succès) de formaliser un recueil qui devait s’intituler Une expérience de la gloire qui est de demeurer sur le seuil d’une armoire et en silence afin de taire éventuellement la fierté et la joie de pouvoir rendre compte à sa conscience multiple de la seule possible et fructueuse quoique glaciale parce qu’orageuse cognoissance. Le titre l’indique : j’avais retrouvé une certaine distance critique vis-à-vis de la thématique alchimique. Parmi les choses conservées, un fascicule d’une dizaine de pages porte ce temps. C’était le résultat d’une épure, un peu à la façon du Spectacle interdit mais en une somme beaucoup moins homogène. La référence alchimique perdure (« Une expérience de la gloire... ») mais les préoccupations poétiques et formelles dominent (« Entendre »). Parmi les poèmes retenus, se trouve « La nuit défigurée », poème dont la première rédaction remonte aux Ligaments d’été (ca septembre 1992) et qui a par la suite été démantelé et modélisé dans le cadre du processus de sérialisation généralisée d’Avec l’arc noir, de l’automne 1994 à l’été 1995. L’influence de Jung s’arrêtait là où le dogmatisme religieux dominait. De même – mais dans un tout autre ordre de choses – mon intérêt pour l’Oulipo à la même époque se heurtait caractère unilatéral de la mise en branle de règles. La permutation ou la transmutation n’étaient pas pour moi des phénomènes ludiques ou décoratifs. La démarche de l’Oulipo me laissaitd’autant plus perplexe qu’on pouvait aisément assimiler les techniques présentées avec la logique dodécaphonique, ce que ne manquaient pas de faire les auteurs si ma mémoire est bonne (c’est aussi quelque chose que l’on retrouve dans La vie mode d’emploi et Alphabets de Georges Pérec). Or, la transposition pourtant évidente du principe dodécaphonique de base (où aucune note ne devrait être répétée avant que les onze autres n’aient été jouées) à la matière littéraire offre en elle-même des résultats peuconvaincants. Même les Alphabets de Pérec, qui relèvent d’une invraisemblable prouesse et parviennent à restituer un univers verbal curieusement mallarméen, tendent plutôt vers la grille de mots croisés que vers le poème proprement dit. Par la suite, les poèmes des Ziaux de Raymond Queneau ont été une libération pour moi. La simplicité de style, le dépouillement du lexique alliée à la frappe précise du vers comme du mot, étaient des choses très stimulantes, à côté des artifices oulipiens.Il y a une métaphysique intime chez Queneau. Il était donc possible de dépouiller l’écriture poétiques de toutes sortesd’apparats lexicaux, mallarméismes et artaudismes en tête. Ce qu’Avec l’arc noir doit à Queneau, cela paraît d’autant plus difficile à retracer que les séries de poèmes qui s’inscrivaient le plus directement dans le sillage de la lecture de Queneau, je ne les ai plus. Il y avait, comme il se doit, un « Art poétique », ainsi qu’une série liée au canal de l’Ourcq. C’est pourtant une grande lessive lexicale qui a permis, peut-être, l’intrusion du quotidien comme de la métaphysique dans la machinerie sérielle de l’arc noir. Je n’en étais pas là. Il y a eu l’épreuve de Rien. Le ruisseau n’est pas absent de la dramaturgie de Rien, loin s’en faut. Il l’est d’abord parce que le train traverse la plaine. On n’imagine pas la plaine sans ruisseau d’une part. Et d’autre part, on le voit bien, la narration ne fait que ruisseler.
Je me rappelle avoir essayé, au tout début de l’année 1994, de rassembler mes écrits en quatre grandes sections, pulvérisées par la suite. La première devait être consacrée au Crépusculaire, le second englobait peut-être (mais je ne l’assurerais pas) Le spectacle interdit et Le récit ruisselant. Un troisième volume devait être pour Rien et le quatrième était consacré aux nouvelles. Il ne reste que des débris de ce premier (?) essai de rétrospection. Une nouvelle dynamique se dessine au printemps, qui conduira à Avec l’arc noir. L’avènement d’Avec l’arc noir a confirmé l’espèce de préfiguration qu’indiquait déjà être Le récit ruisselant au moment où le poème s’écrivait. Le cycle « Racines » s’appuie sur « La nuit défigurée ». Un autre poème de « Sous un arc d’eau » est un cut-up d’une brassée de poèmes issus, pour beaucoup, du Récit ruisselant.Le récit ruisselant aoffert la matière première à la sérialisation du poème. Il a fallu environ deux ans et demi, ensuite, pour identifier, assimiler et mettre en œuvre des procédures de sérialisation qui aient un fondement linguistique intégrant à la fois les dimensions morpho-phonologiques, syntaxiques et énonciatives du poème. |
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