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1- Rappelons les faits : à la fin du chapitre...
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 Article publié le 14 février 2019.

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Rappelons les faits : à la fin du chapitre I.11, Frank Chercos se lance à poursuite à la fois de Justine et de Pedro Phile en compagnie de Chico Chica. luce, qui a tué Karen, périt dans le feu. Et à la fin du chapitre II.19, Frank débarque chez maman à Rock Dream où luce a été violée. Il annonce que Justine a été assassinée. Fred et Jack ont chacun un mobile.

Mais ce n’est pas le fait important : luce, femme divorcée de Frank dans le I, n’a plus de lien avec lui dans le II. luce étant unique (axiome), on en déduit qu’il y a deux Frank : celui qui est séparé de luce et celui qui débarque à Rock Dream. Cependant, les deux Frank ont un point commun : Justine ; celle qui s’est enfuie avec Pedro Phile et celle qui a été assassinée. Or, il s’agit de la même. Car entre le I et le II, il s’est passé des choses : et nous n’en savons rien.

À ces deux Frank, il semble nécessaire d’en ajouter un troisième : celui que Fred rencontre à New Dream ; il enquête sur le passé de luce et nous révèle les minutes du procès qui a condamné luce à Bagdad.

Ces minutes, dans le manuscrit, intègrent des Lettres de Karim sous forme de branlettes. Leurs titres semblent décrire un cheminement de la pensée : l’instant, la colère, le théâtre, le bataclan (synonyme de spectacle), l’ouvrier, le baladin occidental, l’émigré, le violeur, la mémoire, l’amitié, l’épectase, le père-qui-êtes-au-ciel, les religions, le privé… autant de thèmes et de personnages négligés par la cour d’assises de Bagdad et qu’il conviendrait d’explorer pour parfaire cette enquête et la mener à son terme. Intitulons ce projet Personæ.

Ainsi, si l’enquête de Bagdad est terminée, celle qui concerne l’assassinat de Justine ne fait que commencer. Or, le manuscrit ne dit rien de ce qui l’a précédé… entre le I et le II. Projet Justine.

De plus, une autre enquête est prévue : celle qui concerne le viol de luce et l’assassinat de Charley, personnage secondaire. Aucun intérêt.

Enfin, l’enquête portant sur le meurtre de Justine : Projet X (nom du ou des assassins.)

Le projet X (polar) pourrait inclure le projet Justine, comme cela se pratique ordinairement, le lecteur découvrant les prémices du drame au fur et à mesure de l’évolution de l’enquête. Quant au projet personæ, il ne serait pas difficile d’en insérer les parties à l’intérieur même du récit. L’ensemble, parfaitement planifié, n’exigerait au fond qu’un bon talent de conteur et, à la fin, le tour est joué : on sait tout de Justine, on connaît son meurtrier et une vision du monde contemporain se profile sous le texte.

Mais est-ce bien ainsi qu’il convient de mettre fin à ce roman tout de même plus complexe qu’un polar forcément issu de l’esprit pulp ? Certes, de cette manière du reste fort honnête, la curiosité de chacun est enfin récompensée après, il faut le reconnaître, des pages et des pages d’entrelacement (étymologie d’ailleurs du mot complexe…) C’est que l’homo complexus fait figure ici d’auteur et non point de personnage comme on est en droit de s’y attendre si l’on est ce lecteur sortant tout juste des dysharmonies de l’homo absurdus qui fait encore florès dans les collèges de la nation au grand dam de la modernité ?

Ben Balada, qui avait lu tout ça dans la Presse et visionné plusieurs fois le même document télévisuel, cracha dans ses mains pour empoigner la hache qu’il venait d’affûter. À la place d’un cadavre à découper, une bûche, car l’hiver est duraille à Rock Dream. Il habitait un modeste chalet dans le voisinage de ceux qu’il appelait les toqués. Hors saison, maman vivait seule dans sa maison bâtie sur l’autre versant, après la rivière. À vol d’oiseau, ça ne faisait pas loin, mais pour s’y rendre il fallait descendre jusqu’à la rivière en empruntant une sente abrupte et une fois en bas, il fallait suivre la rive jusqu’à un pont de bois et ensuite remonter par un chemin oblique sous les arbres. Une trotte ! Ben n’y allait jamais. D’ailleurs, il n’avait rien à y faire, chez maman. Il la connaissait parce qu’ils avaient eu une enfance commune partagée entre un guet aujourd’hui disparu et une école qui propulsait les meilleurs hors du comté vers d’autres horizons plus prometteurs de plaisir, le plaisir qu’on trouve à gagner sa vie mieux que les autres, ceux qui sont restés.

maman avait longtemps vécu avec un certain Roger Russel qui avait finalement suivi les jeunes pour refaire sa vie dans le même sens. Elle y avait gagné une fille. Une autre était née d’on ne savait qui. Mais de l’automne au printemps, la maison ne contenait que le corps peut-être encore demandeur de maman qui ne signalait sa présence que par la fumée de sa cheminée et la lueur de ses fenêtres. Elle pouvait sans doute en dire autant de son voisin. Par contre, en été la maison recevait les personnages de l’existence de maman. Ben Balada les connaissait tous. Il les croisait souvent en ville où ils se ravitaillaient comme tout le monde. Certains fréquentaient les établissements de plaisir, d’autres travaillaient à l’usine. Une sorte de tribu qui s’éparpillait à la fin de l’été, sauf le Jack qui était ouvrier à l’usine de savon, mais ça, vous le savez déjà. Comme Ben était le seul à avoir une vue plongeante sur cette espèce de théâtre, on l’interrogeait souvent pour en savoir un peu plus, savoir comment ça évoluait, s’il ne manquait personne, s’il y avait du nouveau. Ça ne le dérangeait pas d’en rajouter, mais sans exagération. Il compensait les manques, soulevait des questions qui ne restaient pas sans réponse et acceptait les verres et les invitations à partager les soirées barbecue. Ben était célibataire, conscient que de l’être au fin fond du trou du cul du monde n’est pas ce qui peut arriver de mieux à un homme qui a des rêves.

Ben observait le monde à travers l’écran de sa télé. Il lisait des magazines et même quelquefois des ouvrages documentés. Mais ce qui le caractérisait le mieux aux yeux de ses concitoyens, c’était son robot, Clark. Ben n’arrêtait pas de le construire. Depuis des années. Et le robot devenait de plus humain. Forcément, avec l’avancée des technologies concernées. Du reste, Ben était le seul capable de parler cybernétique dans cette contrée vouée à la fabrication du savon et au tourisme de la pêche et de la méditation en milieu hostile. Clark parlait la langue des hommes. Il suffisait de lui poser la bonne question pour obtenir la réponse adéquate. Sinon, c’était un imbécile comme tout le monde.

Et non content d’entretenir un robot dernier cri sans subventions ni aide technique, Ben en écrivait l’histoire. Il en publiait lui-même les épisodes grâce à son équipement informatique high-tech. Ces volumes fort soignés d’aspect et d’orthographe étaient en vente chez le marchand de tout. On appelait comme ça le vieux Charley qui tenait un espace venteux et poussiéreux à la sortie de la ville. On y trouvait de tout et de rien, mais la mémoire collective avait supprimé le rien par charité.

Aussi, quand Ben apprit la mort de Charley, il se précipita dans sa boutique aérienne pour en surveiller l’entrée et le contenu. Les Aventures de Clark étaient rangées sous un appentis de tôle où Charley avait aussi élu domicile. Le shérif recommanda à Ben de récupérer ses bouquins et de laisser le reste aux éboueurs. Clark, présent comme d’habitude, en parut si désolé que le policier se laissa aller à lui adresser des paroles de consolation.

Ben remonta dans son pick-up et Clark reprit sa place du mort. Ils s’éloignèrent. Le shérif remit son chapeau sur la tête et secoua celle-ci en signe de tristesse :

« Pauvre type au fond, dit-il d’une voix éteinte.

— Qui ça ? dit l’adjoint. Ben ou Clark… ?

— J’aurais dû dire « pauvres types », mais j’ai pas osé… »

 

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