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Le calepin d'un fragmentiste - 8 - Les épis de Fanny
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 Article publié le 5 mars 2023.

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C’est une belle journée. Le soleil darde ses rayons sur ma tignasse grasse. Dieu me consacre, je me consacre à Dieu. Je serai prêtre ! Prêtre, je serai ! Et quand ma pelle à four feuillira, tu seras évêque, Honoré ! Sous les quinquets écarquillés de l’abecqueuse, la pelle de bois mua en vert rameau. Dis-moi, j’ai la berlue ? C’est drôle, on dirait que je prends racine ! Il n’y a pas d’âge pour jouer les mûriers fleuris ? Tu vois, je serai le patron des boulangers. Honoré, n’oublie pas les pâtissiers. Si Dieu le veut, à la date anniversaire de ma mort, ce sera la fête du pain. Si je rends mon âme au Diable un 15 mai, tous les 15 mai on fêtera le pain. Le bon pain ! Si c’est le 16… Le pain sera à l’honneur le 16. Tel jour, tel mois, telle année… Qui le sait ? Dieu ! On saluera, par la même occasion, d’un coup de bonnet les moissonneurs, les meuniers, les gindres, les mitrons… La mitre du mitron ! Jamais ne vienne demain, s’il ne rapporte pas du pain ! Qui l’a dit ? Après tout, c’est peut-être moi. Çà, petit, on l’entendra dire sur tous les toits, sous tous les toits jusqu’à la fin des fins. Tu me donnes faim. Demain… Demain… Toujours demain ! Deux mains, deux pieds, deux yeux… Père, une fois pour toutes, accorde-nous ce pain quotidien. On ne peut plus attendre les bras ballants, au pied des murs, dans les queues des guichets, autour des braseros éteints… On ne peut plus. Je m’investis d’une tâche ad honores. Puis-je renoncer à ma destinée ? Alors Père… Déjà, je pense à mes reliques. Tu vois, Père, j’y mets du mien. La terre se craquelle, je l’arrose ; la terre se gorge, j’assèche. De la pâte, des choux à la crème… Une nèfle… Non vale niente ! Une fève… La fève, c’est dans le gâteau des rois. Une prune… Eso no vale nada ! Une cerise… Une cerise sur le gâteau ! The cherry on the top ! C’est çà, nounou ! La cerise sur le gâteau ! Un saint-honoré de ta pâtissoire, bon faiseur ! Une pâtisserie… Une rue, une place, un quartier, une commune, une église… Mon prénom sur des plaques émaillées, je rêve ! Scions, scions du bois pour la mère, pour la mère… Scions, scions du bois pour la mère… Les veillées…

La destinée. Enfant, ce poème de Rimbaud m’arrachait des larmes : Noirs dans la neige et dans la - misère brume/Au grand soupirail qui s’allume,/Leurs culs en rond,/À genoux, cinq petits, !/Regardent le boulanger faire/Le lourd pain blond... Un dessin… On voyait ces petits culs transis. Les veillées. Les poésies, les chansons, les contes autour du poêle. Les marrons, le café, la tisane, le vin chaud… La bouilloire avec sa coquille d’huître. Dans le meilleur des cas, j’ai plus des trois-quarts de mon pain d’épeautre cuit.

 L’épeautre ? L’épeautre, le blé des Gaulois. Jeanneton prends ta faux et… L’épeautre, plus riche que le blé, mes apôtres, c’est la farine des pauvres. Le pain, les biscuits, les pâtes alimentaires… Bon pinard et bonne croûte aident à tailler la route. Les hommes chabrolaient. Le blé, le maïs, le riz… Les ventres à remplir. Tiens, la boulangère est dans ma guitare. La boulangère ? En personne. J’y vais. La boulangère a des écus/La boulangère/La boulangère a un beau cul/Qui ne s’avoue jamais vaincu/Bouche en coeur et cuisse légère/Dieu me garde la boulangère… Elle doit être morte.

 Madame, t’as du pain rassis ? Il m’en reste quelques boules. Tant pis pour toi, il fallait le vendre hier ! Petits saligauds ! Promeneur tu liras sur un morceau de marbre/Ci-gît nu dans un sac auprès de son baudet/Sous trois empans de terre entre deux maigres arbres/Le meunier du moulin de l’Alphonse Daudet. Fanny, Pierrot voudrait te demander… Une brioche sans poils ! On s’esbignait… Sans poils ! Sans poils ! Deux baguettes et un tambour ! Ne tripotez pas les miches, sales sots, ce n’est pas hygiénique ! Hygiénique ! Ce mot nous roulait dans un interminable fou rire. Elle était marrante, Fanny, avec ses grands yeux étonnés, avec son petit bout de nez retroussé, avec ses mèches blondes… Les épis de Fanny. Le vent dans ses cheveux, la pluie dans ses narines… Son tablier fleuri, ses gambettes nerveuses… Les épis… C’est quand l’Epiphanie, Fanny ? Cette année, j’ai de beaux santons. La fève ! La fève ! Garde la boutique un moment, je te raconterai l’histoire du croissant et du baba au rhum. Je l’imaginais en train de pisser. L’histoire du bâton fouisseur et de la houe, l’histoire de la faucille et du van, l’histoire… Je m’en souviens comme si c’était ces jours-ci. Si tu m’astiques la vitrine, Honoré, je te donne un chausson, une religieuse et une tête de nègre. L’escabeau, le seau, l’éponge, les vieux journaux… Une tête de nègre ! Monsieur, on ne dit plus tête de … Battre les blancs en neige, séparer les jaunes des blancs ou les brouiller ne vous gêne pas ? Honoré de Marseille… Ce film de… Ce film de Maurice Regamey…

 

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