Deux murs de bouquins, une table, deux chaises paillées, un lit de camp, un réchaud… Des coins… Un coin cuisine, un coin toilette, un petit coin… Et tous ces paysages ocres et bistrés du papier peint… Je loge aux oiseaux. Au sixième, dans les branches. L’escalier de Jacob. Van Gogh, Caillebotte, Bacon, Doisneau à la cimaise. La rue. Les passants… Mes personnages dans les pluies bleues, jaunes, mordorées, noires… Dans les vents espiègles, tapageurs, roux, cendrés… Une marine de Monet… Debussy entre les plages d’un vinyle. Et là-bas, au loin, les hennissements des chevaux d’écume et les cris des pétrels dans les grandes orgues de la marée de Rungis. Une ampoule nue… Des lampadaires dans des flaques de lumière… Le phare Eiffel. Une affiche de Lautrec… On ricane, on cancane, on scie des violons, on débobine de la mélodie… Un miroir. Et tous ces regards éteints, ces visages frustes, ces voix éraillées dans les replis et les trous de ma mémoire… Des pas… La Mort entrerait que je ne bougerais pas l’auriculaire. Entrez, Madame ! Asseyez-vous. Je n’ai que deux chaises. Café ? Un ballon de vieux Bordeaux de derrière mon fagotin ? Tisane ? Un remontant ? Je n’ai que deux tasses… Deux verres. Un tête-à-tête d’amoureux. Alors, un méchant noir ou un gros rouge ? Un dé d’ambroisie ? Trois arpents, un hectare de nectar ? Choisissez le flacon, je choisirai l’ivreté. L’ambroise de L’Hymette, de Castalie, de Paris… En parlant de Castalie… Connaissez-vous le jeu des perles de verre ? Le livre d’Herman Hesse ? Le jeu. Nous y jouons tous à nos moments perdus. Chacun avec ses propres règles et sa propre musique. Qui gagne ? C’est au joueur de décider. Si vous croyez avoir gagné… Ce n’est plus la peine d’y jouer… C’est ça ? C’est ça. Ne préférez-vous pas jouer aux dames ? Que de dames sur le carreau ! T’as du trèfle, sans cœur ? J’ai du quatre feuilles. Tu tombes à pic, as de pique. Les pions. Le rouge et le noir. Je mise. Tu veux que je te dise ? Tu es une tragédienne. Tes yeux… Ta bouche… Du noir, du rouge. À quelle heure… La pièce… Après… Œufs, câpres, cornichons, moutarde, des fines herbes… L’huile d’olive… Je sale, je poivre. C’est ta sauce gribiche, ma grise biche ! Ne tardons pas trop. Tu ne fermes pas la fenêtre ? Le théâtre du Rond-Point…