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Article publié le 2 juillet 2023. oOo Quand on n’est plus de la partie, Que quelques-uns l’ont décidé, On nous traîne vers la sortie Avec nos dadas et nos dés.
Sans geigneries, sans embrassades, J’ai joué ripe à jour faillant, Dans mon linge le plus maussade Avec un dernier sou vaillant.
Vous avez eu mes vieilles fringues, Mes socques, mon schlass, mon roman, Ma guitaronne de bastringue, Ma carapousse, abjects quémands !
J’avais dans mon bissac de toile Gamelle, quart et saint-frusquin Pour aller contre mon étoile. Qu’avez-vous fait de mes bouquins ?
Sous la langue, ma pièce ronde Pour le nautonier des enfers, Je vis le retour des arondes, Se craqueler un ciel de fer.
Que savez-vous de l’autre monde, Sonneurs de cloches, canapsas, Cueilleurs d’épis, rouleurs d’émondes, Tournoyeurs, prophètes, forçats ?
Que savez-vous de la souffrance, Des songeries, de la trémeur, Des errances, des espérances De celle, de celui qui meurt ?
La vie, faut-il donc qu’on la perde À la gagner sans un regret ? Les hommes comme les saperdes, Effraient sans répit les forêts.
Avant de passer à la trappe, J’ai fait tout le plus que j’ai pu ; Nul ne m’a fait mordre à la grappe, Au pain dur, boire au vin rompu.
C’est midi ! Que le beffroi sonne… J’ai toujours eu garde à carreau ; Je ne reconnais plus personne… Des pébrocs hors de leur fourreau !
Il pleut, il pleut des grosses gouttes Écrasantes comme des poings ; Les gens d’aujourd’hui me dégoûtent. Des fats, des fats dans leur pourpoint !
Je fis quelques pas sur la place, Au descendu de l’autocar… Deux cornets, trois boules de glace… Je suis à l’heure à mon rencard.
C’est là où mes parents se plurent, Les bancs d’un jardin automnal, Elle, éparsait sa chevelure, Et lui, parcourait son journal.
Au moment de rendre nos comptes, Nous ne sommes déjà plus là, Déjà nos survivants racontent Nos histoires à falbalas.
J’ai voulu revoir des merveilles, Des étangs comme des miroirs Des belvédères qui surveillent, Les engouements de nos terroirs.
J’ai voulu revoir ma Provence, Les cavalcades du mistral, Boire aux fontaines de Jouvence, Et retraverser des chorals…
J’étais entre mes quatre planches, Pas tout à fait cadavéreux, Dans une odeur de roses blanches, Ne sentant pas mon cas véreux.
Mon corps tout entier me fourmille, Je ne suis pas encor pourri. Ici dort toute ma famille. À plus, je reviendrai guéri !
Que de discours panégyriques Pour un insurgé nu et cru Et son bagou de félibrique. Resterai-je un cher disparu ?
J’ai voulu revoir les lumières Et les ombres de mon pays. Comme auparavant, les premières Lueurs du jour m’ont ébahi.
En revenant de mort à vie, J’ai suivi des enterrements, De quoi m’en enlever l’envie Je n’ai pas pu faire autrement.
J’ai rencontré près la fontaine La bergère et ses blancs moutons, Le fou et sa turlututaine Et le porteur de rogatons.
J’ai revu des lieux de délices, Des purgatoires, des mouroirs, Qu’on te crame ou t’ensevelisse, Tu patientes dans un tiroir.
Mes aminches de vieille roche, Nous sommes nés et morts souvent. Partis, les miens, partis, mes proches, Et tout ne fut plus comme avant.
En finir, ne plus avoir d’âge, Ne plus avoir de sot métier, Ne plus avoir besoin d’adages, N’en vouloir plus au monde entier.
J’étais dans ma neuille éternelle, Dans mon profond sommeil de plomb Sous les pas lourds des sentinelles Et les sanglots des violons.
Qu’on m’emporte dans les ténèbres Avant que je change d’avis, Sur une civière funèbre Refroidi, roide, inassouvi.
Pour preuve de mon existence ? J’ai été un poseur de mots Pour le plaisir, pour la pitance, Pour dire le monde et ses maux.
On se choisit une carrière : Des talmouses sur le portrait, Des coups de pied dans le derrière, J’ai bu toute honte à longs traits.
Je n’en connais plus qui connaissent Les paroles sur cet air-là, Cet air venu de ma jeunesse, Il ne m’en vient qu’un Tralala.
Je pense à ces rouges prairies Où s’étripent tant de soldats, Enfants promis à la tuerie, À la rose et au réséda.
J’ai vu des revenants de guerre Bistournés, cassés, morfondus, Ceux-là ne survivaient plus guère, Ceux-là n’étaient plus attendus.
L’automne est une femme mûre Pleine de taches de rousseur, Pleine de cris et de murmures, J’étais un tendre agrimenseur.
J’arpentais villes et campagnes, Même à la mauvaise saison, Dans chaque havre une compagne, Et puis, et puis des horizons.
Je vais, dans l’œil gauche une équerre, Un rapporteur et un compas, Avec des marchands, des macaires Et des sicaires sur mes pas.
Je ne reconnais plus ma rue Qui se jetait dans le vieux port, Plus de grues, de coquecigrues, Ma rue qui roulait bord sur bord,
Ma rue, ses criardes enseignes À bière, à cécube, à tabac, Ma rue, ses lanternes ne saignent Plus, sa musique est au plus bas.
Ma rue, ses crieurs de salines, Ses gars, ses gabiers au long cours, Ses mousses, ses hale-boulines, Et ses dames du bon secours.
J’ai carillonné à ma porte… Il y a quelqu’un là-dedans ? Que le Diantre à Dache t’emporte, Et te brise toutes les dents !
Bonsoir, bonsoir la compagnie, Bonsoir, mesdames et messieurs, Ma suite et toute la mégnie, Mes pairs, mes pères pernicieux,
Mes chiens, mes chats, mon coq, ma mule, Mes hirondelles, mes corbeaux, Mes fées, mes féaux, mes émules, Je retourne dans mon tombeau.
J’ai revu le port de Marseille Et la gare de La Ciotat, Je n’ai pas revu Vic-sur-Seilles Ni les falaises d’Étretat.
Vous n’avez plus les nuits tziganes, Les flammèches du flamenco, Les châteaux de la fée Morgane, Les Ponantais et les Mocos.
Les femmes chantent à tue-tête, Nous avons fini nos devoirs, Pendant que les bouts de chou tètent, Nous gargouillons dans le lavoir.
Richepin, Fort, Prévert, Fombeure… J’avais déjà le goût des vers, Je ne comptais plus pour du beurre Avec ma raison à l’envers.
La balançoire, la marelle, Colin-maillard… Des cris… Les fleurs… J’avais douceur de cœur pour elle C’était l’aînée du rémouleur.
Je me faisais une barbiche Avec le foin de l’artichaut. Pouah ! Pouah ! les premières cibiches ! Le vent, les pins, le sable chaud…
Je pousse à bout ma limousine… J’entassais dans ce vieux tacot Les neuf filles de Mnémosyne, Huit avaient leurs coquelicots.
J’ai revu la tour Magne à Nîmes, À Carpentras, la boule aux rats, La Notre-Dame magnanime, Le vrai plafond de L’Opéra.
Revu les tours de La Rochelle Et les dunes de Keremma, Comme un songe-creux, vu l’échelle De Jacob, l’apôtre Thomas…
La lance entre ses omoplates, À genoux, il est mort le saint ! C’est la Bible qui le relate Et montre du doigt l’assassin.
Je fus arpenteur… Dijon, Die, Deuil-la-Barre, Dax, Montluçon… Suppôt de la ménestrandie, Tondeur de chiens, ânier, maçon,
Boisselier, batteur de cymbales, Fildefériste, acteur, mireur D’œufs, brelandinier, porte-balle, Potier, charruyer, laboureur
Sur terre et sur mer… Qui le nie ? Des pisse-froid ? Je fus rameur, Zani, semeur de zizanie, Vagant, tafouilleux, étameur…
Dans les cordes de ma guimbarde, J’étais à mettre un air en chant Sur la tombe de ma clébarde, À la lisière bleue d’un champ.
Toujours en vadrouille, ma cagne, Ma vieille cagne à mes côtés, Tantôt des terres de cocagne, Tantôt des royaumes gâtés.
Dune du Pilat, îles d’Hyères, Dieppe, Aurillac, Saint-Omer, Blois Berck, Ault, Foix, Honfleur, La Cadière… Deux vagabonds sans foi ni loi.
Fichtre ! où sont ma gratte à rengaines, Mes brodequins, mon paletot ? Au pays de la mère aux gaines, J’ai reçu des coups de couteau.
Robert VITTON, 2023
Notes
Carapousse ou carapoue : capuchon. Trémeur : grande crainte. Saperde : insecte coléoptère dont la larve creuse des galeries dans les troncs des peupliers, des trembles, des saules ; adulte, il en dévore les feuilles. Félibrique : auteur, poète provençal. Agrimenseur : arpenteur. Ce mot nous vient de l’antiquité romaine. Macaire : traître de la chanson de geste de la reine Sibile, personnage de l’Auberge des Adrets, devint un fripon adroit et audacieux. Sicaire : assassin gagé, du latin sicarius, assassin, de sica, poignard. Les châteaux de la fée Morgane : mirage qui fait voir au-dessus de la mer des châteaux, des palais, des villes. Morgane est sœur d’Artus et élève de Merlin. Les Ponantais et les Mocos : les marins de Bretagne et ceux de Provence. Avoir ses coquelicots : avoir ses menstrues. Boule aux rats : Sphère surmontée d’une croix sculptée en bois ou en pierre et traversée de part en part par des rats, datée du 15 et 16e siècle. Peu d’exemplaires sont répertoriés. Ménestrandie : la corporation, l’art des ménestrels. Zani : personnage bouffon dans les comédies italiennes. Vagant : vagabond qui s’approprie les objets que la mer rejette sur ses rivages. Tafouilleux : individu qui ramasse les objets charriés par la Seine. La mère aux gaines : surnom d’une magicienne, résidant près de Moulins, dans le conte du Bélier d’Antoine Hamilton.
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