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Article publié le 10 septembre 2023. oOo Je vends à perte aux pèlerins Du Mont-Saint-Michel, de Saint-Jacques, Des coquilles et des écrins. Vous, vous croyez que je barjaque.
Je fais du vieux avec du neuf ; Je suis le roi de la brocante. Une lampe Pigeon, un œuf De Nuremberg, mille toquantes…
Je fais du neuf avec du vieux, Je peins, je vernis, je vernisse, On peut toujours refaire mieux, C’est ce que dit ma pythonisse.
Des savonnettes, des oignons, Tout un ramassis de patraques, Des pinces-nase, des lorgnons… Qu’ai-je encore dans mes baraques ?
Je débarrasse cagibis, Greniers, caves, planchers, remises… J’emporte tout, métaux, habits Et tout ce qui n’est plus de mise.
J’emporte carillons, coucous… Tous les objets passés de mode, Même ceux qui ont pris des coups. Je débosselle et raccommode.
Je scie, lime, gratte, polis, Je répare, cloue, rapetasse, Démonte, restaure, embellis, Catalogue, date et entasse.
Je désosse bricks, canoës, Aéronefs, tanks, vieilles tires, Tortillards, arches de Noé, Pour mettre fin à leur martyre.
J’ai un théâtre de guignol Où l’on bastonne les gendarmes, Des placards pleins de rossignols, Des bouteilles de saintes larmes,
Des diables de boîte à ressort, Des almées de boîte à musique, Et, qui a terminé son sort, Une cornemuse phtisique.
Je plains sans doute un peu mon temps, Je requinque, je rabiboche, Je besogne comme un titan. Bref, je me creuse la caboche.
J’ai trois pendules de Foucaud, J’ai les gnomons d’Ératosthène, Trois hamacs, quatre lits Pico, Treize mascarons de fontaine…
Cartes, dames, petits chevaux, Joueur de dés, de quinquenoves, Sans savoir ce que le jeu vaut, Je le retape, le rénove.
J’envieillis, pare, rafraîchis Brides, mors, chevêtres, ceintures, Souliers, ronds de cuir avachis… Des fées m’ont appris la couture.
Je grimpe les tours des châteaux, Je descends dans les oubliettes, Je me hisse dans les bateaux, Pour les beaux yeux des joliettes.
Sur des laies, des lacets ardus, J’en ai descendu des ânées, De flingots, de pièges tendus, D’antiquailles de cheminée.
Des cothurnes, des brodequins, Des fouffes cousus de pistoles, Des épouvantails, des frusquins, Des poupées que je rafistole.
Des statuettes de Pasquin Et de son complice Marfore, Des lances d’Argail, des faquins, Des jarres, des futs, des amphores…
J’emporte les miroirs sans tain, Les ors, les marbres, les ivoires, Les os, les bronzes, les étains, Nous retoperons après boire.
Je charge des flûtes de Pan, Des accordéons poumoniques, Des lyres, des harmonipans, Des luths, des pianos mécaniques…
J’ai des mobiles de Calder, Une Phryné de Praxitèle, Des balles de duvet d’eiders, De toutes sortes de dentelles.
Je passais, espiègle écolier, Les noirs étangs par ma clepsydre, Les dunes par mon sablier, Après le lait, l’aigue, le cidre,
Le rouquin, vinrent le nectar Et la succulente ambroisie ; Je veillais de plus en plus tard Pour courtiser la Poésie.
Des heures de pluie, de soleil, De vent… Un hameau se délabre : Charrues, pétrins, soufflets, chaleils, Bougeoirs, tisonniers, candélabres…
Je me trimballe sur le dos Des cadrans d’Achaz, de Bérose, Des horloges de sable et d’eau, Un peautre en fer et bois de rose.
Je convoite châles, chandails, Scramasaxes, colichemardes Et surtout le coffin, le dail, Le suaire de la camarde.
J’ai vendu, sans perte ni gain, Des vrais et des faux Caillebotte, Quatre christs jaunes de Gauguin, Du Sétois moustachu, les bottes,
La pipe, la blague à tabac, Les fidibus et la guiterne, Des peaux, des négligés, des bas Bleus et des fagots de Sauternes.
Je désamorce des obus, Je dépoussière des trophées, Des marchandises de rebut, Des calebasses assoiffées…
Je ne laisse rien au hasard, Et ce, depuis mon âge tendre, Je m’enivre dans les bazars, Je ne me lasse pas d’attendre.
Je racle les fonds de tiroirs, M’enferme dans les penderies Et mets à sac tous les terroirs Granges, cabanons, écuries,
Cachettes, puits, combles, celliers… Chacun me vante sa parcelle. Ne restez pas sur le palier, Entrez voir ce que je recèle.
J’ai la lampe à huile d’Argand Et la lanterne de Diogène, Un tape-cul, un toboggan, Des rouleaux de toile de Gênes…
J’ai un bétyle et un berceau Du temps de Saturne et de Rhée, J’ai eu des cassettes de sceaux, Et même des toisons dorées.
Je suis friand de nouveautés Quand elles viennent de naguère, Des jadis plus ou moins datés, Des avants, des entre deux guerres.
J’ai le marteau d’un jaquemart, Des sons d’airain, des girouettes, Des cocottes, des coquemars… Des tas d’outils, une brouette,
Berceuses, poufs, cosy-corners, Méridiennes, sofa, bergères, Jeux d’intérieur, jeux de plein air Et mignonnettes d’étagères.
Tout ce qui reluit n’est pas or, Pourtant on en remue des tonnes, Chaque saison a ses trésors, Je suis au bout de mon automne.
Le temps est court, le temps est long, Interminables mes journées De boue sous des chapes de plomb Et des tissus de fleurs fanées.
Blagues de perlot du régent, Cruches, verraille mousseline, Bréviaires de messire Jean, Napperons, mouchoirs en malines…
Râpes, rabots, étaux, sergents, Des trucs, des machins, des machines, Tout ce qui fait courir les gens, Le poids de l’or qui nous échine.
J’ai eu des meubles Rococo, Un service de porcelaine Fleureté de coquelicots, Des cartels, un poste à galène.
Un crucifix désargenté Comme celui de ma paroisse, Des saints Pierre et Paul tiquetés, Une aile d’ange qui se froisse…
Jaquelines, vases murrhins, Hanaps, aryballes, bombyles Reliquaires, syrinx, crincrins, Bénitiers, bols, jattes, sébiles…
On m’a promis une noria, Des tisonniers, des bassinoires, Une sedia gestatoria, Un trône, un sceptre et la baignoire
D’un Archimède ou d’un Marat, Une couronne d’Angleterre, Des Pigalle, une boule aux rats, Quelque chose d’Anticythère…
Des vasques, des alcarrazas, Des éventails, des bérets basques, Des draps brodés de mimosas, Des faux culs, des faux nez, des masques…
Seaux hygiéniques, bourdalous, Urinaux, ciboires, calices… Je fais coins, recoins, rencarts, clous, Arrière-boutiques, coulisses…
Je salue biffins, ferrailleurs, Dénicheurs de bizarreries… Ils ont souvent l’esprit ailleurs Au cours des discutailleries.
On m’a vendu le trémoussoir D’un certain abbé de Saint-Pierre, Un goupillon, un encensoir, Une cornette, une guêpière.
J’ai croisé un collectionneur D’armes, de bouchons de carafe, De muselets, de croix d’honneur, Et d’aiguilles de phonographe.
Un gyrovague m’a parlé D’un manuscrit d’Éléphantine Ou des papyrus de Philé Et de l’épave du Sartine.
Resserres, dépôts, entrepôts, Hangars sur toute la planète… Je ne prends jamais de repos, Je rêve dans ma camionnette.
Ma vie ? Des saisons, des saisons ! Les beignets, les marrons, les glaces… Une guimbarde et des chansons, Un pays, des villes, des places…
Pommes d’amour, barbe à papa, Et déjà la retraite sonne, On claudique vers le trépas, Chacun pour soi, Dieu pour personne.
Pas plus d’Ornans que d’Étretat, Je porte un sifflet à roulettes De la gare de La Ciotat, À mon cou comme une amulette.
Ma place, un banc, le vieux bistrot… Et la pétanque, et la belote ! En attendant d’être de trop, J’élime mes fonds de culotte.
La vieille horloge du Palais N’a plus que sa petite aiguille Elle va, va comme il lui plaît N’épargnant Gautier, ni Garguille.
Robert VITTON, 2023
Notes
Barjaquer : parler à tort et à travers, en Provence. Scramasaxe : arme mérovingienne semblable à l’épée romaine. Coffin : étui rempli d’eau où se trouve la pierre à aiguiser, porté à la ceinture du faucheur. Bétyle : pierre supposée tomber du ciel, portant certaines marques, adorée comme une idole. Le temps de Saturne et de Rhée : l’âge d’or. Cartel : ornement dans les bordures des tableaux, des trumeaux, des cheminées… Jaqueline : cruche de grès à long ventre, en usage dans le nord. Murrhin : de murrhe, pierre orientale dont on fabriquait des vases précieux, mais fragiles. Aryballe : vase grec, large à sa base, étroit vers le haut. Bombyle : bouteille antique de forme ovoïde, à goulot étroit. Bourdalou : vase de nuit de forme oblongue. Le trémoussoir de Saint-Pierre : fauteuil qui remue de tous les côtés, invention de l’abbé Charles Irénée Castel de Saint-Pierre, écrivain, académicien 1658-1743. Le manuscrit d’Éléphantine ou de Philé : manuscrit trouvé en 1805, papyrus, contenant des vers de l’Iliade. Le Sartine : bateau portant le nom du ministre de la Marine sous Louis XVI qui coula dans le chenal de l’entrée du port de Marseille, en 1780. Ce drame est à l’origine de l’expression : La sardine qui bouche le port.
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