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Le calepin d'un fragmentiste - 28 - Le lucubrateur
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 Article publié le 24 septembre 2023.

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La flamme est un monde pour l’homme seul. Alors, si le rêveur de flamme parle à la flamme, il parle de soi-même, le voici poète. Gaston Bachelard.

 

 

Puisque je rêve à la flamme des calebombes, des camoufles et des trente-six chandelles, aux flammèches des veillées et des incendies, aux flammeroles du boulevard des allongés, je parle de moi-même, me voici poète ! M’man, Pa, Mé, Pé, me voici poète ! Aminches, me voici poète ! Les filles, me voici poète ! Bêtes et gens, me voici poète ! Mon pays, ma ville, mon quartier, ma rue, mon jardin, ma maison, ma chambre, me voici poète ! Tenez-vous le pour dit, je me bombarde poète ! Po-è-è-ète, je vous dis ! Pas un rimeur de mince étoffe , pas un rimailleur gnian-gnian à la neuvaine, à la quinzaine, à la journée, pas un regretteur des présents du temps passé, de la dernière pluie, à la mode et à la page de sa muse, pas un forge-mètre microphone flanqué de voix expirantes de chorale décolorées, pas un rimasseur à la manque, pas un poètereau à la flan, pas un aède à la gomme, pas un parnassien à la noix qui pioche au latin et au grec, pas un maquereau d’héliconiades au vin blanc ou à la moutarde à l’ancienne, pas un nourrisson d’acides parnassides, pas un mâcheur de laurier de bibus qui pinte et crèche au Pinde, pas un versificateur à gros grains de la passerelle des Arts, pas un métromane de simple tonsure à bretelles de la Samaritaine, pas un de ces freluquets qui soi-disant brident et éperonnent un Pégase flammivome… Plan, plan, rataplan, avis à la population, me voici troubadour au son du tambour ! Zim boum, zim boum badaboum, me voici trouveur sans ra, ni fla ! Je ne suis jamais de loisir comme ces trouvailleurs de vers impromptus, ces trousseurs d’hexamètres prétendus héroïques, ces courtisans de cocottes inspiratrices de vers luisants, bêtas dorés comme des calices, argentés comme des crucifix…

 

 Je chante l’os et la peau de la pêche, le nombril de la pomme, le noyau et la queue de la guigne, l’épine de la rose, les pépins du raisin, le roux, la glaire et la coquille de l’œuf, la bogue piquante, l’écorce des arbres, le cul et l’étiquette du sac et de la bouteille… Je chante l’amer et le doux, la mer et les radoubs, les cales et les escales, les anges et les engelures, les sacres et les massacres, la faune et la flore à la faune du Flore…

Je suis toujours à tortillonner un pan de ma chemise, un bolduc, un mouchoir de Cholet ou de Bolbec, un accroche-cœur… Poète je suis, poète je reste, m’man !

J’écrirai le jeudi, j’écrirai le dimanche quand je n’irai pas à l’école, j’écrirai des nouvelles, j’écrirai des romans… Encore ce Fombeure ? Pas plus de Fombeure que de beurre au cul, m’man ! Il s’est mis tous les oiseaux à dos. Du Queneau, merde ! Demain, je passe au tableau… Et çui-là qui nous a fait pleurer, Mé et moi, avec son petit cheval… On aurait dit deux Madeleines… On va ravoir du Prévert, m’man. Là, vous allez chialer comme des baleines, des baleines de parapluie. Faut pas croire, des fois on rit comme des bossues… Des bosses de rire, m’man. Je pense à la gobine du marché qui vend des choux, des pois chiches, des haricots… Tout ce qui fait péter et chier mou… Des pétarades et la chiasse… C’est possible ça, de toujours aller chercher des choses… Des choses dégoûtantes. On nous bourre le mou avec les morales de La Fontaine… Il paraît que le libraire cache ses contes pleins de cochonneries, m’man. Ne dis plus de bêtises… Carême, poète de l’enfance, lui, pardine, fait le jeune…

 

Je tire la chasse, je me lave les mains et j’arrive… Dépêche-toi, tout refroidit… Des frites… Pa n’est pas là, m’man ? Il travaille… Putain de trois-huit !

 

Poète à la courte semaine,

Tu vas et tu viens semaillant,

Le vent te mène et te ramène,

Je ne suis jamais ce vaillant.

 

J’entends tous ces rimeurs de balle,

Plus bruyants que des ferrailleurs,

C’est tout leur monde qu’ils trimballent,

En route vers d’autres ailleurs.

 

Ma rue piétonne a des carcasses sanguinolentes et des lopins, des bouts saigneux au pendoir de ses boucheries, des marchandises de quincaille, des merciers que l’on trucide pour une épingle, pour un peigne, des camelots pour un bilboquet, pour des poupées gigognes, pour une figurine en biscuit, pour une grossière copie d’Emile Gallé, pour des galets peints, pour un mortier et un pilon d’olivier, pour un flacon de génépi, remède contre la pleurésie, pour une lampe Pigeon, des luminaires qui clinquantent les attroupements, des rassemblements de calicots qui sortent des murs, crevant des placards publicitaires, des rebelles graphiteux abolissant la loi du 29 juillet 1881, des flâniers hors du temps, des ramasseurs de pages mortes, de mégots, de ragots dans les caniveaux, des aboyeurs de trottoir, des crieurs de nouvelles, des passants pressés à peine griffonnés, des traînards happés par un accordéon pulmonique, par un violon grincheux, par un charmeur de serpents, par un danseur et sauteur de corde, par un cracheur de flammes, par un conteur de sornettes de rechemiqueurs d’allumettes, par des croque-notes qui becquètent des clarinettes pour des clopes et des clopinettes, par des gratteurs, des frotteurs, des souffleurs de romances démodées à même pas un rouge liard l’heure, par le musicien de Saint-Merry d’Apollinaire et ses cortégeants, par la flûte traversière de l’automate de Vaucanson, des pantins dégingandés qui tâtonnent et se heurtent, des épouvantails couverts d’oiseaux, des colporteurs de rumeurs et de renommées, des sarabandes d’écoliers comme traînées de poudre, des ballonniers, des coinceurs de bulles de savon, des lazaroni, des marquis et des chevaliers de la manchette, des meutes de marteaux piqueurs, des pelleteurs plantés au fond des tranchées sur les miasmes œsophagiens, des romanciers encore en feuilles, des toupies, jupe coupée au cul, décolletées comme des quilles, montées sur des aiguilles de phonographe, les yeux pochés au beurre noir, la bouche saignante…

 

 

Je retourne aux coins de ma rue

Où traînent des airs démodés,

Mes grues et mes coquecigrues,

J’y joue à la mourre et aux dés.

 

Je baguenaude avec Corbières

Et bois des coups avec Villon

Je vois la Mort entre deux bières,

Des ossements dans des haillons.

 

Je guide ma longue berlingue déglinguée tirée par trois paires de chevaux fiscaux, j’allume mes cigares et mes fidibus aux becs de gaz, aux torchères des places et des parvis, aux flambeaux des retraites, aux paquets de cierges des processions, aux torches nuptiales, aux lampions des cocagnes, aux lanternes rouges des lupanars, aux chaleils des catacombes…

Je vais à borgnon, à l’aveuglette, à l’aveugle, en aveugle, me voici poète ! Homère, tu entends, me voici poète ! Un aveugle en mène un autre le long du grand fossé jusqu’à la culbute.

Poète, je meurs enfant, à la fleur de l’âge, plein de jours et de nuits sans croyance, pendu par les pieds, sous les trente-six pruneaux d’Agen d’un peloton d’exécution, estrapadé dans la rade de Toulon, noyé dans un quart de riquiqui, rôti dans les feux de joie de la Saint-Jean où se consument des croque-mitaines, des bonshommes de paille, des mannequins d’osier, de cire et de bois, des effigies d’exploiteurs, des enseignes en faillite, des branches sèches , des planches vermoulues, des cageots, des chiffons, les vieilleries des caves, des greniers, des ateliers, des entrepôts, empoisonné par l’eau de la Toffana comme Mozart, étripé dans une taverne, épuisé à Collioure, écrasé par un train à Rouen, dans les formes d’une belle mort subite… Je meurs martyr en grandes douleurs tout en vie, je meurs comme un chien à l’attache, tout entier à la peine, le cœur à la besogne. Je meurs sur mes livres et dans mes idées de chevet, je meurs à ce monde gris et grimacier même s’il s’évertue pour me sourire, nus et crus comme Eve et Adam à leur premier péché, à mes belles passions… Je meurs pour eux, pour ceux des chiourmes et pour nous de la ménestrandie qui trépassons pour la gloriole dans des charivari de table avec dans la bouche des paroles qui fondent comme des pralines.

Je crache mon galet… La mer s’est retirée avec ses moutons spumeux, avec ses bataillons de béliers forcenés, avec ses attelages et ses bandes de chevaux de salmare, avec ses troupeaux protéens, avec ses oiseaux de pierre, avec ses hordes de pirates et d’aventuriers… Qui sait quand elle reviendra avec toutes ses mécaniques, avec ses équipages à peine essuyés des tempêtes, avec ses feux grégeois et ses feux Saint-Elme, avec ses embarcations cabanées, avec ses radeaux de fortune, avec ses chants, avec ses cris, avec ses exhalaisons, avec ses épaves, avec ses cadavres, avec ses herpes, avec les oraisons de ses cités englouties ? Qui sait ?

T’inquiète, de tout ça Bachelard s’en occupe !

T’occupe, de tout ça le Gaston s’en inquiète !

Je tiens à vous doctes frangines, comme aux prunelles perses et à la vague chevelure d’Amphitrite et de ses espiègles sœurs !

Je devise, je converse avec les vagants, avec les naufrageurs, avec les amonceleurs d’ambre gris, de corail et de coquillages. J’ai mon île déserte, mon île aux trésors, mes îlots en plein Paris, mes bagnes… Longtemps éboueur, tafouilleux, je suis un ange de grève de la Seine en calence.

 

Des dames-jeannes font la ronde,

Leur vin est moindre que le mien,

Viennent le retour des arondes,

Des feux de camp des bohémiens.

 

En ce moment, je rafistole,

Je démêle, je raboutis,

J’enrubanne des épistoles,

Mes gens croient que je suis sorti.

 

J’entre dans mes ténèbres avec ma clarté paraffine qui brûle jaune, avec ma lampe inventée par Argand et fabriquée par Quinquet, avec la lampe aphlogistique de Davy, avec mes éclaireuses qui gaspillent mes économies de bouts de bougies, de lumignons, avec des pêcheurs à la luminade, avec mes clébards lanternifères qui n’aboient pas, mais qui éclairent, avec mes troupes juvéniles qui mettent le feu aux étoupes et aux poudres, avec mes hiboux de chevet… Poète, le suis-je ou ne le suis-je pas ?

Poète, arpète jusqu’à mon dernier soupir, j’ai mon havresac, ma boîte à outils et l’argot de tous mes métiers.

Devine où je suis ? Dans ta plus haute tour ? Glagla, tu te les gèles. En boule, dans ton cabanon ? Tu te réchauffes la carcasse… Au bout de ton champ ? Tu refroidis lamentablement. Nulle part ? Tu brûles ! Je brûle ? Le feu prend, me prend comme une vague ! Une vague ignée… si tu continues je vais te décliner mon nom de guerre et te décocher des épigrammes. À qui parles-tu ? À qui veux-tu que je parle ? À moi-même, pardine ! 

 

J’abrège mon roman de gare !

J’étais chez Guillot le songeur !

Un haut-parleur brouillon m’égare,

Les quais sont noirs de voyageurs.

 

Vous vous demandez ce que je fais dans ma caboche ? Je n’y passe pas le plus clair de mon temps. À l’occasion, je déménage, j’emménage, je suis en pleins travaux, j’expulse les locataires reprochables qui contrent ma pensée, les mauvais coucheurs. J’ai tout de même en réserve quelques chambres à louer avec une vue exécrable sur des toits rapiécés, dentelés de zinc, sur une cour pavée, sur un cimetière de véhicules, sur un mur qui bombe, sur une impasse tumultueuse, et quelquefois, tout de même, sur une marine.

Taximètre, à la gare ! Une nuit de rail et je serai rendu. Où ça ? Loin d’ici… Un train au hasard, un train… Un bord de mer… Un désir de découvertes, de retrouvailles, de vents et de marées, de lames qui écument de rage, de fenêtre ouverte sur un port, d’odeurs d’algues, de cris de mouettes…

T’as des clopes ? Je m’en roule une à la lune… La bonne blague. J’ai de l’herbe à Nicot, de la bonne herbe catherinaire et un livret de papier à cigarette Job, jobastre ! Jean Bardou, boulanger à Perpignan, 1838. Tu vois, j’en sais des choses… T’as du bengale, des étincelles, du rif ? J’ai la flamme tremblotante de mon briquet-tempête de quand j’étais moussaillon corvéable et punissable à volonté, mousse au long cours entre la vergue et les rabans, marinier de rame, gabier dans les étoiles, matelot de rambade , que je déclamais aux proues et dégobillais aux poupes aux deux bouts de la planète, aux quatre coins du monde. Bouffarde, brûle-gueule, chibouque… En mer, on a toujours du feu sur soi. J’ai ma boîte de grattantes, de souffrantes, d’aloufs, d’allebroques, de tisons, de brandons… Et les allumoirs des tavernes, des beuglants, des popines, des bobinards des escales.

Pendant ce temps, les saints de mèche avec les ciergiers de Pâques et de la Chandeleur sont sans voix, laissés pour compte, ils jalousent la sainte Vierge vénérée tout le long de l’an. Tu peux crever la bouche ouverte, les yeux révulsés, le corps et les membres tordus de douleur, ceux-là resteront de bois, de marbre et de je ne sais quoi sans remuer, ni écouter leur auriculaire.

 

 

J’oublie l’heure à lire Boccace,

Pétrarque et Dante. Mais que font-

Ils ces trois dans une barcasse ?

L’étang n’a ni rive, ni fond.

 

Je prépare des camisades,

Je travaille d’arrache-pied,

Je m’enjoue aux improvisades,

Tout se jouera sur le papier.

 

Pierrot, mon pauvre Pierrot prête- moi ta machine à écrire, la jappe de ta Japy, ta plume d’ange primesautière, ta poudrière, j’ai deux mots à écrire à cette putain d’Adèle ointe d’huile d’olive et frottée d’ail qui gagne sa pitance et son train de vie à la sueur de son corps et du mien. Ouvre ta lourde à un pauvre fabricateur de fausses joies !

 

Tu vois, je n’ai plus rien à frire,

Plus rien pour me caler les dents.

S’il me restait de quoi écrire

Pour me sortir de là-dedans…

 

Je suis entre mes draps d’Elbeuf à penser à ma Colombine… Tu as de la flambe pour une allumeuse qui joue les poupines. J’en ai de bonnes plus qu’à mon tour. Celle-là, tu peux te la copier dans ton vade-mecum. Tu gigotes dans tes torchons, le cœur te tribouille. Pour jouer à la ronfle et te taper des rassis, à faire des cartes de France, tu te poses un peu là ! Ma plume chansonnière, d’ordinaire si enjouée, si délurée, becquète des anciens pâtés, mon encrier a le cul sec, ma lampe à pétrole n’a plus de volonté… Heurte chez la voisine, je crois qu’elle y est !

Toc, toc, toc, toc… À cette heure indue, qui est là ? Toc, toc ! C’est un chantre provençal, un rejeton d’Apollon, un porteur de rogatons, un brodeur de canevas, un ami de Pierrot ! Pierrot, ce feignant, ce fainéant, ce minable, ce bon à nibe, tout juste à tâter les tétons, ce déparleur qui voudrait que je ne passe que par ses pattes potes, ce branleur… J’ai le choix, le pucier ou la fenêtre… C’est ça !

Toc, toc ! Tirez la chevillette pour l’amour du bégayeur éternel, de ses apôtres aux mains baladeuses, de ses saints avec une seule idée sous l’auréole… Un calame même émoussé, de l’encre même pâlie, une feuille de papier même froissée feront l’affaire. C’est que j’étais à ranimer les cendres de mon poêle à bois et à charbon… Une chose n’empêche pas l’autre, ma belle. J’attends toujours ses sacs de rameaux, de pignes, de noyaux d’olive, de débris de coke et de cagettes… Il s’est assoté d’une théâtreuse, d’une marcheuse à l’opéra, d’une claqueuse dans les jambes des chevaliers du lustre, des applaudisseurs à gages quand elle ne s’évente pas aux premières loges.

Je vois minuit à votre porte ! Pour la peine, je vous manivelle un madrigal ou un sirvente, je vous improvise un acrostiche, une romance sans paroles, je vous débite des tranches de contes fabuleux… Ce Nicaise s’est fourré dans le ciboulot que je n’ai jamais vu le loup, ni les feuilles à l’envers. Mon pauvre Pierrot, la sibylle qu’il se figure ramasse sagement son bois à brûler à l’orée des bosquets, ignore que le venin est dans la queue. Si tu crois que je te guigne et que mon logis sent le remugle et la violette séchée, qu’est-ce que tu te gourres, nice Pedrolino, qu’est-ce que tu te gourres…

Je vous ouvre seulement pour l’amour de Dieu s’il existe !

Dieu ou l’amour ?

Pas plus tard qu’hier, ont passé par-là un qui revenait de guerre, un autre qui partait soldat, un estropié dans sa caisse à roulettes, quatre jours avant, un ménestrel de vielle et de harpe éolienne, un commis voyageur et son âne chargé d’ustensiles de cuisine et de dessous féminins, encore avant, un baragouineur avec de la marchandise de balle, se disant natif de Bâle, un brocanteur qui débarrassait les planchers, les sous-sol, les combles, les abris de jardin de toutes les vieilleries oubliées, un ramoneur avec son hérisson en boule sur son épaule, le rémouleur aux mains bluettantes, une roulotte de romanichels en cherche d’une fontaine, le tronc de la paroisse, le marchand de brousse, la camionnette du service de la dératisation de la commune, le vitrier et sa relève payée au lance-pierres, la matelassière… Au bout de l’an passeront le facteur et ses calendriers, des trios de rois mages, des soi-disant pompiers, des quêteurs dans la misère qui demandent la caristade…

 

Jeune fille, j’ai été en séquestre chez une châtelaine qui m’a appris à tenir, à entretenir un intérieur, à soigner le linge et les vêtements, à coudre, à repriser, à broder, à mijoter des potages, des ragoûts… Répète-toi, demoiselle : J’aime à garder mon foyer. Pour les hommes, la femme n’est belle qu’en chemise de nuit, qu’en tablier… Des chiffons, des éponges, des plumeaux, de la cire, de l’eau de Javel, du savon de Marseille… Les meubles, les parquets, les cuivres…De l’huile de coude ! Chaude caille qui coiffe désespérément Sainte-Catherinette, tu es bonne pour te mettre en ménage, en surmenage, à allumer le flambeau de l’hymen, à servir de torchon, de serpillère, de paillasse… Des grisons, des badernes, des soudards blanchis sous le harnois flambent leur fortune pour tripoter de la chair fraîche et tendre comme la rosée. Je crois toujours au coup de foudre. Sait-on jamais… C’est quand je m’y attendrai le moins que je trouverai mon couvercle, disait la duègne. Ce vieux pot ébréché, fêlé, a fini par trouver le sien, l’ancien gardien de phare qui, pour arrondir sa retraite, entretenait comme il le pouvait, les entours de la propriété. Il fendait toujours les bûches et ramonait les cheminées, mais devait se soucier des âtres, garder les tisons, souffler sur les braises, ôter les cendres… 

 

On s’enlace, on s’embrasse, on s’embrase, on s’incendie… On s’empêche d’être heureux. La chambre est d’abord une fournaise et devient, petit à petit, une glaciaire.

 

De ma fenêtre, je reluque

Des roulures dans leur fourreau,

Quelques filles-fleurs noctiluques,

Des rococotes du carreau…

 

 

Il est temps que je reverdisse,

Garde ma bâche et mon manteau,

Que je retourne à mes blandices,

C’est trop tard pour me coucher tôt.

 

J’ai toujours été de la neuille,

La lune est le soleil des loups

Avec toujours un livre en feuilles

Et des affaires de filou.

 

La nuit est longue pour qui souffre,

Et brève pour les amoureux,

Pour la plupart, elle est un gouffre

D’où je ressors le ventre creux.

 

Quand je pense à tous ces brétailleurs que je laisse en plant dans mon rêve et que je retrouve sur les marchés, sur les promenades, dans les salles obscures, à la cantine, aux fêtes foraines…

 

J’en ai noirci des pages blanches, 

Couché des défunts noir sur blanc,

Des vivants entre quatre planches,

Sans me soucier des chalands.

 

Mon huis n’a jamais eu de penne,

Je reçois mes morts préférés ;

À chaque nuit suffit sa peine,

Pourrai-je tous les déterrer ?

 

La Camuse m’est familière

Comme une épître à Cicéron.

Elle est ma seule cavalière

Quand je m’enivre et danse en rond.

 

Le miroir se ternit, la flamme vacille, je suis vivant. J’ai toujours eu du souffle à revendre. Le croque-mort et le menuisier sont, encore une fois, venus pour rien.

 

Mon livre est en pages volantes

Anuité, j’en ajoute cent,

Des soporeuses, des ronflantes,

Goutte à goutte je perds mon sang.

 

J’aurai veillé vaille que vaille

Comme une lampe qui s’éteint.

Que fabriques-tu ? Je travaille !

Quelle heure est-il ? Il est matin !

Robert VITTON, 2023

 

Notes

Calebombe : argot, chandelle.

Camoufle : argot, bougie.

Chemiqueur : ouvrier qui applique la pâte phosphorée au bout des allumettes.

Fidibus : argot, bande de papier roulée pour allumer la pipe, la cigarette…

Calence : être en calence, être en manque d’ouvrage, anciennement dans le langage des ouvriers de Paris.

Caristade : aumône.

 

 

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