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Lettre à Jorge Luis Borges Carta a Jorge Luis Borges Letter to Jorge Luis Borges
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 Article publié le 6 décembre 2004.

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María Kodama, Présidente de la Fondation Internationale J.L.Borges.
à Jorge Luis Borges, son époux.

Qu’est-ce que c’était pour nous l’art ? C’était la possibilité magique de percevoir la réalité à travers les sons, les couleurs, les textures qui, par la mutation de l’alchimie de la création, offrent le mirage d’une autre réalité.

C ’était l’émotion partagée, puisque vous l’avez compris, lorsque, au pied du grand escalier du Louvre, en levant les yeux, j’ai découvert la Victoire de Samothrace, que, en ce moment, le temps arrêté, je voyais, superposée à cette sculpture, l’image d’une figure d’un livre d’art offert par mon pére. A quatre ans, avec ce livre, il m’a donné sans que je le sache, la première leçon d’esthétique de ma vie. Il m’a appris le sens de la beauté. Je me souviens que, devant mon désenchantement, en effet l’image n’avait ni tête ni figure, avec une patiente infinie, mon pére m’a dit d’observer les plis de la tunique agités par la brise, arrêter ce mouvement, la brise, pour l’éternité, c’était cela , la beauté. L’art et rien que l’art pouvait l’atteindre.

Je ne l’ai jamais oublié ; cela a marqué, en quelque sorte, ma vie et s’est projeté dans notre relation. Notre relation épurée, à travers le temps, qui a eu différentes faces jusqu’ à aboutir dans l’amour qui nous habitait bien avant votre déclaration, bien avant que je prenne conscience de mes sentiments.Cet amour qui, révélé, devint une passion insatiable pour remplir ce sentiment vague et confus que j’éprouvais pour vous dés mon premier âge, au moment oú quelqu’un me traduisit un poème dédié à la femme que vous aviez aimée avant ma naissance. Vous lui disiez :

I can give you my loneliness, my darkness, the lunger of my Heart ;
I am trying to bribe you with uncertainty, with danger, with defeat.*

Cet amour dont vous laissiez des traces tout au long de vos livres, sans me le dire , jusqu’ à votre révélation en Islande. Cet amour protégé, comme dans la "Völsunga Saga", par un halo enflammé dont l’éclat nous cachait des regards indiscrets, pour devenir Ulrica et Javier Otárola , mes noms choisis parmis tant d’autres, pour les inscrire sur la stèle en pierre qui signale l’instant oú votre âme est entrée dans la Grande Mer comme les Florentins nomment la mort ; mais que, en même temps, elle témoigne de notre rencontre. La mort et la vie ne constituent pas de signes opposés, paradoxalement ; ils coulent ensemble et le lien qui reste entre celui qui part et qui reste est l’amour.

Violà pourquoi quand on m’a apporté le projet de faire une exposition de peinture, inspirée des oeuvres que vous m’aviez dédiées, j’ai craint la matérialisation que vos mots souffriraient car ils deviendraient une source d’inspiration pour d’autres créateurs. J’ai pourtant réfléchi à la véhémence des moments vécus dans les musées, aux quatre coins du monde et j’ai pensé que cela pourrait devenir une alchimie merveilleuse qui mettrait en valeur l’Amour cherché à tâtons par deux âmes qui ne se nommaient pas encore, qui ont été, sont et seront éternellement, un homme et une femme, Tristan et Iseult, Dante et Béatrice, Frida Kahlo et Riviera, Ulrica et Javier Otárola, peu importe leurs noms pourvu que, dans leur rencontre, ces âmes éprouvent une possesion mutuelle, à travers la flamme d’une passion inextinguible qui ne s’éteint jamais ; au contraire, elle encourage à supporter, comme Paolo et Francesca, même en enfer, le châtiment qui n’est pas si terrible, puisqu’il est partagé. Pour ceux qui s’aiment tout est illusion : l’enfer, le monde, car il n’existe qu’eux.

Cette dynastie qui ne s’hérite ni s’achète constitue un défi et un don qu’on doit préserver tout au long de la vie et au-delà encore, à travers les siècles, pour la magie de l’art.

Au milieu du centre de notre jardin secret se dresse cette flamme : elle appartient à la dynastie des amants. A partir de la rencontre, grâce au mouvement conjoint des astres ou du hasard, selon vos voeux, cette invisible chaîne continue à se construire et, transmuée en art ou tout simplement parce qu’elle est vivante, elle assurera que les nouvelles générations croient toujours à l’harmonie du monde, malgré tout.Cette flamme, dont je souhaite qu’elle soit un phare dont la lumiére couvre l’immensité de l’univers, j’espère que vous la ressentiez et qu’elle persiste dans l’âme humaine.

Et soyez sûr que cette flamme d’amour, de loyauté, de passion qu’un jour nous avons partagée, continue toujours vivante en moi, pour vous "for ever, and ever.....and a day".

María Kodama à Jorge Luis Borges.
Lettre parue dans " De Borges à María Kodama".
Hommage au Centre Culturel Recoleta.
Du 30 novembre au 24 décembre 1995.
Cet hommage comprit des travaux de 42 artistes plastiques, qui ont travaillé sur des textes de Borges.

* texte en anglais.


Carta ¿o poema ? de María Kodama a su amado Borges.
Ella es también
Presidenta de la Fundación Internacional Jorge Luis Borges (Cristina Castello)

¿Qué era para nosotros el arte ? Era la mágica posibilidad de percibir la realidad a través de sonidos, de colores, de texturas que, transmutados por la alquimia de la creación, ofrecen el espejismo de otra realidad.
Era la emoción compartida, porque usted supo, cuando al pie de la escalinata del Louvre alcé los ojos y descubrí a la Victoria de Samotracia, que en ese instante, anulado el tiempo, se superponía a esa escultura la imagen de una làmina en un libro de arte que mi padre me regaló. Con ese libro, me dio, a los cuatro años, sin que yo lo supiera, la primera lección de estética de mi vida. Me enseñó qué era la belleza. Recuerdo que, ante mi desencanto porque la figura no tenía cabeza, un rostro, con la infinita paciencia me dijo que observara los pliegues de la túnica agitados por la brisa del mar. Detener en ese movimiento, para la eternidad, la brisa del mar, eso era la belleza. El arte y sólo el arte podía lograrlo.
No lo olvidé nunca ; esto signó de algún modo mi vida y se proyectó en lo que sería nuestra relación. Nuestra decantada relación, que fue pasando, a través del tiempo, por distintas facetas hasta culminar en el amor que nos habitaba mucho antes de que usted me lo dijera, mucho antes de que yo tuviera conciencia de mis sentimientos.
Ese amor que, revelado, fue pasión insaciable para colmar el sentimiento vago, indescifrable, que experimenté por usted siendo niña, cuando alguien me tradujo un poema dedicado a una mujer a la que amó años antes de que yo naciera. A esa mujer a la que le decía :
 

I can give you my loneliness, my darkness, the hunger of my heart ;
I am trying to bribe you with uncertainty, with danger, with defeat.

Ese amor del que fue dejando trazas a lo largo de sus libros, sin decírmelo, hasta que me lo reveló en Islandia. Ese amor protegido, como en la "Völsunga Saga", por un màgico círculo de fuego, cuyo resplandor nos ocultaba de las miradas indiscretas, para poder ser Ulrica y Javier Otàrola, nombres que elegí, de todos los que nos dàbamos, para grabarlos en la estela de piedra que señala el punto desde el que su alma entró en el Gran Mar, como llamaban a la muerte los florentinos ; pero que, a la vez, relata nuestro encuentro. Aunque parezca una paradoja, la muerte y la vida no son signos opuestos, sino que son un solo fluir, y el vínculo entre el ser que parte y el que queda es el amor.
Por eso, cuando me trajeron el proyecto para hacer una exposición de pintura inspirada en las obras que usted me dedicó, sentí temor de esa materialización que sus palabras sufrirían al convertirse en motivo de inspiración para otros creadores. Sin embargo, reflexioné en la intensidad de los momentos que vivíamos en los museos, a lo largo y a lo ancho del mundo, y pensé que esa podía ser una maravillosa alquimia que exaltaría el Amor buscado a tientas por dos almas aún sin nombres, que fueron, son y seguiràn siendo un hombre y una mujer, Tristàn e Isolda, Dante y Beatriz, Frida Kahlo y Rivera, Ulrica y Javier Otàrola, poco importa cómo se llamen, si en el encuentro sienten que se pertenecen con esa llama de pasión inextinguible que no se consume, sino que da fuerzas para sentir que, aun en el infierno, como Paolo y Francesca, ese castigo no es terrible porque lo comparten. Hasta el infierno es ilusorio, como es ilusorio el mundo, para los que se aman, porque sólo ellos existen.
Esa dinastía que no se hereda ni se compra es un desafío y un don que debe preservarse a lo largo del tiempo de nuestra vida y màs allà aún, a través de los siglos, por la magia del arte.
Desde el centro de nuestro jardín secreto se alza esa llama que pertenece a la dinastía de los amantes. A partir del encuentro, gracias al acordado movimiento de los astros, o al azar, según queramos, sigue construyéndose esa invisible cadena que, transmutada en arte o por el simple hecho de existir, harà que las nuevas generaciones sigan creyendo en la armonía del mundo, a pesar de todo.
Esa llama que espero sea como un faro cuya luz alcance el inimaginable confín del universo, para que si algo, de alguna forma, persiste del alma humana, le llegue y sienta que se llama, hecha de amor, de lealtad, de pasión, que una vez compartimos, sigue viva en mí para usted "for ever, and ever... and a day".


* María Kodama, a Jorge Luis Borges
Esta carta se dio a conocer en "De Borges a María Kodama"
Homenaje en el Centro Cultural Recoleta.
Del 30 de noviembre al 24 de diciembre de 1995.
Incluyó obras de 42 artistas plàsticos, quienes trabajaron sobre textos de Borges.


María Kodama,
Chairman to the "Fundación Internacional Jorge Luis Borges"

What was art to us ? The magic possibility of perceiving reality through sounds, colours, through weavings that, transformed by creative alchemy, offer the mirage of a different reality.

It was the shared emotion, because you knew, when at the foot of the Louvre steps I rose my eyes and discovered the Samotracia Victory, that in that moment, voiding time, the image of an art book leaf given to me by my father was overlapping this sculpture. With this book, without me being conscious of it, he gave me, at the age of four, the first aesthetics lesson in my life. He taught me beauty. I remember how, because of my disappointment at the figure having no head, no face, with infinite patience he told me to watch the tunic’s folds waving under the sea breeze. Stopping this movement, towards eternity, that sea breeze, that was beauty. Art, and only art could manage this.

I never forgot ; this someway marked my life, and forwarded itself in what was to be our relation. Our lee relation, travelling through different facets as time went by, till it grew into the love that dwelt in us much before you ever mentioned it to me, or I was aware of my feelings.

This love, that once discovered, was unquenchable passion, filling in the vague, incomprehensible childhood feeling I lived when someone translated to me a poem you wrote to a woman you loved before I was born. You wrote to this woman :

I can give you my loneliness, my darkness, the hunger of my heart ;
I am trying to bribe you with uncertainty, with danger, with defeat.

This love that left its footprints throughout your books, without telling me, till you revealed it to me in Iceland. This guarded love, as in the "Völsunga Saga", thanks to a magic fire circle , whose light guarded us from unwanted watchers, allowing us to be Ulrica and Javier Otàrola, names I choose, among the many we called each other, to carve in the stone marking the spot from whence you soul dived into the Great Sea, as Florentines would call death ; but as well, mark our meeting. Though it might seem a paradox, life and death are not opposite signs, but an only flow, and love is the link between who leaves and who remains.

This is why, when I was shown the project of a painting exhibition on the works you dedicated me, I was afraid of the materialisation your words would undergo when blended into inspiration motives for other creators. Still, I thought about the dept moments we lived at the museums, throughout the world, and concluded that perhaps this could be a marvellous alchemy extolling a Love blindly sought by two still nameless souls, that were, are and shall be a man and a woman, Tristan and Isolda, Dante & Beatriz, Frieda Kahlo & Rivera, Ulrica & Javier Otárola, names little matter so long as in their meeting they feel they belong to each other with the unquenchable passion flame that not only never ends, but bestows strength to feel that, even in hell, as Paolo and Francesca, this punishment is not terrible because it is shared. For those who love, even hell is an illusion, as the world itself is, because only they exist.

This non inheritable and non payable dynasty is a challenge and a gift that must be kept throughout our life time and beyond centuries, through art’s magic.

From the heart of our secret garden rises this flame, belonging to lovers’ dynasty. From our meeting onwards, thanks to the pre agreed star movement, or, should we rather have it, to luck, the invisible chain is linked, that, carried on by art or by the sole fact of living, shall manage that future generations will, in spite of all, keep on believing in Universe’s harmony.

This flame I hope shall bee a spotlight whose rays reaching the unthinkable limits of the world, so that if anything remains of the human soul, it shall reach you, and you shall feel that this flame, built on love, faithfulness, passion, that once we shared, is alive in me for you "for ever and ever ...and a day"

* María Kodama, to Jorge Luis Borges.

This letter was published en "De Borges a María Kodama"
Homage at the Centro Cultural Recoleta.
From November the 30th. To December the 24th., 1995
It included works of 42 plastic artists, who worked on Borges’ texts.

Translation : Patricio Doyle doylepatricio@arnet.com.ar

 

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