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![]() oOo Les textes qu’on va lire sont de nature indécise - poèmes en prose, essais, nouvelles, récit ? Au fond, peu importe ! - mais ils répondent tous à l’urgence de dire et au désir m’adresser d’abord à quelques êtres chers, vivants ou disparus, puis à tous et à toutes, à l’urgence aussi, en une double postulation, d’analyser impitoyablement la matière humaine qui les compose et que j’appelle être en commun à la suite de Jean-Luc Nancy, tout en faisant la part belle à la décision poétique qui s’affirme au gré des circonstances devenues proches-lointaines par la mise en perspective qu’opère l’écriture qui s’abandonne, confiante, à la faveur du mot juste et au vertige devant un horizon tournoyant qui hésite toujours entre crépuscule et aurore… L’aurore est ma seule demeure. Le crépuscule des idoles me va bien. J’ai toujours préféré le marteau à la faucille : je ne glane pas, je ne moissonne pas ce qui se donnerait comme élaboré dans le secret de la nature livrée au travail des hommes, tel le suc dans le fruit ou telle la graine dans le blé, non, il s’agit avant tout de marteler l’indicible en orfèvre consommé, afin d’en tirer matière poétique, matière qu’alors, alors seulement, il m’est loisible de retravailler à ma guise. La marteau du verbe frappe sans merci l’enclume du réel qui me livre ses fragments de réalité facettés. Les fragments entre marteau et enclume appellent la décision de frapper juste et fort, afin de rendre justice à tous les angles d’attaque possibles et imaginables qu’ils m’inspirent. Le travail de la forme est essentiel. Avant de prendre forme, un texte, dans mon atelier imaginaire que je trimballe partout avec moi, c’est d’abord une ambiance, c’est le plus souvent une émotion teintée de mots qui résonnent et raisonnent dans le même temps. Faveur du rythme : écrire, c’est d’abord s’abandonner à un souffle moqueur dont la puissance incoercible menace de refluer et de nous laisser là sans voix, sans souffle et sans ressource, et puis le reprendre à mon compte, l’épouser pour le porter à son maximum de puissance par la grâce du rythme qu’imposent les mots qui se proposent à moi dans la faveur des jours. Dans ce processus, je ne suis ni un fétu de paille balayé par le vent de l’inspiration ni un apprenti-sorcier qui convoque des ombres. Au cœur de tous mes textes, c’est un cœur qui bat, le mien, le tien, le vôtre. Car enfin, j’emprunte tous mes mots à la tribu. Je ne traque pas le mot rare qui laisse le lecteur perplexe ou le remplit d’admiration. Dans Vibrante, A claire voie et Parfums de l’exilée, on lira ce qu’on peut appeler, faute de mieux, des poèmes en prose ou des proses poétiques : l’idée d’emblée se fait image. En eux, c’est la vie des images qui s’impose à la sensibilité. Parfums de l’exilée s’achève sur un essai consacré à la peinture. Une bouche sans égards et Une pluie de silences mettent en scène des personnages et des figures de pensée : c’est l’être en commun qui se cherche à travers eux. On lira là, en somme, des nouvelles ou des récits très dépouillés. Le murmure y est toujours préféré au pathos et l’infime de l’intime aux événements tonitruants. Viennent ensuite trois sections - Art poétique, Autour d’un regain d’écriture et Manière de frissons - où s’essaie une pensée mobile, ni nomade erratique ni monade hiératique : il s’agit de penser à partir d’événements réels, souvent pénibles, pour dégager un horizon d’actions, en posant pour préalable la nécessité du dégrisement critique. La parole poétique a sa part là aussi, comme antidote au doute de soi et au dégoût de vivre. L’action commence par l’écriture qui réfléchit sur le sens de l’action : c’est ainsi que l’écriture qui s’observe écrire à travers l’auteur dégage un horizon de sens toujours provisoire et décisoire, mais utile, en fin de compte, à cette part de nous-mêmes inutile, mais essentielle qu’il nous faut peut-être appeler amour. C’est un gain d’autorité qui est recherchée, clairement, en faveur de l’amitié, l’amitié en marche. L’action réfléchie que ces essais mettent en œuvre et qui se déploie en eux culmine dans une réflexion sur la singularité et l’être en commun dans la section intitulée Toi et moi. On trouvera enfin un essai critique consacré à Nos enfants en otage, ce livre si émouvant de Françoise Rodary et A la manière éparse d’Icare, un journal de bord écrit en 2005, sorte de matrice pour des textes à venir où se trouvent consignées des réflexions écrites au jour le jour. Ces deux sections, par la tension qu’implique leur teneur : une essai consacré à l’œuvre d’une amie très proche et un journal autocentré, ces deux sections forment les deux extrémités d’un seul et même arc : le toi et le moi comme fondateur du sens, ce qu’il faudrait appeler l’intersingularité. La vertu de cet ensemble de textes ouvrant sur l’altérité d’autres auteurs, parfois clairement identifiés, s’il en a une, serait de dégager un espace dévolu à l’amitié : amitié pour la pensée toujours veuve de signes, à l’amitié entre des hommes et des femmes qui ignorent qu’ils sont amis, à l’amitié pour l’amitié enfin, en des temps qui ont, semble-t-il, perdu jusqu’au désir d’aller au-devant du sens que peut prendre pour nous, ici et maintenant, le mot aimer. L’auteur, ainsi, serait heureux, si on lui reconnaissait le mérite d’avoir su concilier une pratique de l’écriture sans animosité qui réconcilie animus et anima. Jean-Michel Guyot 10 novembre 2010 |
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