Bon là j’arrive sur scène un peu comme un cheveu sur la soupe. J’ai vu de la lumière, je suis entré. Me voilà et là rien que par ma présence, ma stature d’humoriste, je suis censé faire rire. Eh oui c’est difficile de faire rire ! (Silence d’au moins une minute ou presque). Y a des gens doués pour ça ! Y en a qui ,dès qu’ils tâtent de la scène, sont capables de déclencher des rires, des rafales de rires, rien que par leur allure, le feeling qu’ils ont avec le public mais pour ça, faut pas être sinistre ni morbide ni malade ni ...enfin vous me comprenez !? Ca tient à peu de chose ! Je ne tenterai pas ce soir, je vous rassure tout de suite, de définir l’humour, parce que je n’ai pas les mots, je suis à court d’idées et je n’ai pas le temps ! Non, vraiment ce n’est pas possible ! Vous êtes là normalement en train de rire : je suis tellement drôle ! Oui, je suis drôle, vous ne trouvez pas ? Ou alors vous n’avez la même perception que j’ai de l’humour ! Oui, c’est ça, ami, tu as raté le coche, tu ne ris pas des mêmes blagues et autres histoires drôles, calembours, contrepèteries et autres... enfin vous me comprenez ! Toi, là-bas au fond de la salle, au dernier rang est-ce que je t’ai autorisé à rire ? M’as-tu demandé la permission ? On dit que le rire est démocratique s’il est partagé par tous. Mais ça n’arrive jamais complètement, là tu fais rire et là tu fais grincer des dents ou des dentiers ! Non, l’humour n’est jamais politiquement correct et s’il l’est, il manque à sa mission qui est de gratter là où ça fait mal, c’est comme un prurit dont on ne parvient pas à se débarrasser, oui, l’humour est parasite, c’est comme un corps étranger ! C’est comme le ver dans le fruit, ami poète, dès qu’il s’installe, dans son nid douillet, il travaille à faire réfléchir, à faire douter de tout, à renverser des idoles, à montrer les travers de la société. Ah, c’est bon de rire de tout ! C’est le privilège de nos latitudes, L’humour c’est la liberté de la caricature et de la satire. Finalement à énoncer de telles vérités, je ne fais pas trop rire, non, vous ne trouvez pas ? Je ne suis peut-être pas venu pour ça ! Bon, toi qui rigole là, je te demande d’arrêter, ça frise l’obscénité, non, vous ne trouvez pas ?

(Silence de quelques secondes, une dizaine de secondes.) Bon, je ne vais pas vous retenir trop longtemps car je ne suis pas le seul à passer sur scène et on m’attend, enfin, je crois, salut !

inédit
avril 2005
Éric Dubois