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 Article publié le 14 octobre 2005.

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Les lecteurs de la RAL,M le savent déjà : là où d’autres ne proposent finalement que des chansons, Robert Vitton demeure le poète qu’il s’est promis depuis belle lurette de ne jamais perdre de vue. Même la musique des adaptations commerciales, souvent si racoleuse, n’a pas entamé son propos. Les recueils qu’il a offerts à ce site [1] témoignent d’une constance et d’une opiniâtreté qui servira de leçon à cette nouvelle publication où la musique est venue toucher au texte par le biais de la chorégraphie ; il s’agissait justement de ne pas faire passer ces véritables poèmes pour les chants spontanés de leurs personnages.

Nous sommes en Provence, au pays où les quémandes des mendiants, comme en toute terre méditerranéenne, qu’elle soit chrétienne ou musulmane, est un principe que les moeurs elles-mêmes doivent pratiquer sans faute et transmettre sans retard. Le "marin de Paris" [2] n’a pas oublié d’où il vient, il connaît aussi bien Paris, et ses voyages en France sont un véritable périple de "l’histoire privée de la nation" [3]. Chez Vitton, pas de poésie sans ces personnages rencontrés, compris et retournés à la réalité par l’enchantement d’une langue qui n’appartient qu’à lui.

Certes, la filiation artistique, passant par le peintre Monticelli, inspirateur de van Gogh autant que Gauguin, recueille tout ce qui domine Jean Richepin et la véritable pléiade de poètes qui a reconstruit les fondations de la poésie populaire au moment des grands changements industriels et de la perte irrémédiable d’un certain style de vie et par conséquent de sensibilité. On est encore et toujours à fleur de cette peau de la poésie qui, sans renoncer aux profondeurs des rencontres verbales, continue de chanter avant qu’il ne soit plus possible d’associer la parole mise en vers à la mesure et à la mélodie. La langue, française en l’occurrence, y gagne cette fois non pas en clarté, mais en distinction ; car la poésie de Robert Vitton est distincte, elle se reconnaît à distance, elle ne se laisse lire que de près, on en ressort tout imprégné de sa tessiture si particulière et de son monde grouillant que Callot, le grand graveur et surtout dessinateur, a déjà insufflé, relativement à son époque de misère et de promesses non tenues ou impossibles à tenir, à ce pays qui continue de souffrir malgré ses beautés territoriales et ses nobles chantres. Le voyage de Vitton revient aussi quelquefois sur les pas de la nuit de Gaspard, traçant les lieux de la vie quotidienne et historique, et non pas la chanson languissante qui prend au piège les moins chanceux de la pratique poétique.

Il y a aussi une exigence chez Vitton. Elle se traduit par le vers. Il en connaît les ressources, mais il n’en fatigue pas le lecteur, laissant affleurer les contenus narratifs et lyriques, ce qui le rapproche en effet du théâtre, d’un théâtre "à l’italienne" qui, vu en plan, est un rectangle nettement divisé en trois autres : celui des spectateurs tournés vers celui de la scène, à la tangente de coulisses où tout se passe en silence, dans une parfaite croissance des effets. Sur scène, ce qui frappe d’abord l’imagination du chorégraphe-musicien, ce sont ces diagonales qui croisent les personnages comme le fer enfin pacifié de la parole. On entend même, sans honte et sans tentation d’y remédier par des secrets de fabrication, leur course rapide et pourtant ralentie par les fusées des répliques. On y danse, c’est évident. Les bajoues de la marchande de marrons y invitent, comme les lèvres du joueur d’orgue se complaisent dans l’imitation graphique de la confidence et de la tradition orale qu’elle remet en jeu [4].

À ce travail de collaboration, qui contient donc les tableaux des quémandes et les fragments de musique censés soutenir des pas, il manque les notations chorégraphiques [5] pourtant nécessaires à la compréhensoin parfaite du spectacle. Nous y travaillons, crayon en main, griffonnant les espaces tantôt réduits au plan de l’ouverture du rideau, tantôt traversés de coulisses d’où surgissent les personnages en proie à leur existence de diagonales qui s’achève en tangente d’un public qui ne viendra pas si le théâtre demeure fermé pour cause de répétition. Il s’agit de lire et de superposer les fragments musicaux sans le secours des indications scéniques. On aura peut-être alors une idée à transmettre, de bonne foi et d’allant spontané. Qui sait ?

Patrick CINTAS


[1Voir Collection Hors série.

[2Voir Le marin de Paris, avec les illustrations de Valérie Constantin qui signe ici le "logo" prometteur d’une illustration plus poussée...

[3Balzac, cité notamment par Vargas LLosa.

[4Pour ces deux personnages, voir l’espace que Robert Vitton consacre au Zinc, ce comptoir du peuple selon Balzac.

[5Chorégraphie de griffonneur, et non pas de véritable chorégraphe, cela va de soi.

 

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