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![]() oOo Quelque chose qui ne t’intéresse plus est pour ainsi dire mort pour toi, mais si d’aventure plus rien ne t’intéresse, alors n’est-ce pas toi qui es comme mort ? La pensée vive exige de toi l’allant de la perte, la perte dans l’inconnu qui fonde ta recherche éperdue. L’allant qui va à sa perte dans le néant du désintérêt est une impasse, une aporie que ne relève aucun poros. Tu es donc condamné à soutenir l’inconnu par ton intérêt, quitte à te détourner partiellement de ce qui retint ton attention. La question la plus brûlante n’est-elle pas pour toi du moins : qu’est-ce qui te tient en vie ?
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Il est des textes comme des tissus rares : ils se froissent à peine sous la lecture, bruissent d’un éclat soyeux, et laissent sur les doigts cette mémoire de l’odeur — de chair, de jasmin, de sueur et de soie. L’étoffe des jours, de Jean-Michel Guyot, n’est pas un poème, ni un essai, ni un roman, et pourtant il est tout cela à la fois, noué d’un seul tenant, dans une tension amoureuse, sensuelle et pensante, qui ne cesse de reprendre souffle.
Dès les premières lignes, le texte se glisse dans une matière poreuse : la pensée comme tissu vivant, dont la trame est faite de questions, de désirs et de pertes. Ce qui désintéresse tue, prévient Guyot, et c’est donc dans l’éclat du désir — qu’il soit intellectuel, charnel ou métaphysique — que l’humain se tient en vie. On entre alors dans un livre comme on entre dans une chambre habillée de voilages : tout y est suggestion, repli, réverbération. La pudeur n’y est pas inhibition, mais tension féconde vers le dévoilement.
Le corps féminin, omniprésent, n’est jamais réduit à sa surface : il est l’atelier secret, le motif, l’origine du monde recréé dans l’acte d’aimer, de coudre, d’écrire. Le texte devient une coupe de robe, un tombé de dentelle, une couture d’ombres et de lumières. C’est que la femme, ici, est double : elle est amante et couturière, muse et ouvrière du rêve. À chaque page, on entend le frottement du lin contre la peau, la friction douce de la pensée contre le réel, et cette phrase entêtante comme un parfum : « La couleur a une odeur, ton odeur, une odeur de jasmin en fleurs. »
Guyot n’écrit pas avec les mains : il écrit avec la langue, avec l’oreille, avec le flanc. Et sa prose, traversée de surgissements lyriques, s’abandonne à une syntaxe du corps. À mesure que le texte s’enroule, les images deviennent plus incarnées, plus érotiques, mais sans jamais céder à la lourdeur du littéral. L’amante nue, la chambre close, le miroir ovale — tout cela compose une scène primitive où l’amour est un théâtre sacré, un jeu d’ombres brûlantes dans l’écho de “48 caméras”. Les corps s’y regardent jouir, mais c’est la pensée qui jouit — une jouissance par réflexion, par diffraction, où chaque caresse est une figure de style.
Le texte, dans sa dernière partie, s’ouvre comme un vitrail brisé sur le ciel. Le chaos devient matrice, la dissonance une étoile neuve. On devine dans cette “musique écrite dans une langue étrangère” la puissance de l’amour-palimpseste : amour qui efface, recopie, transforme, jusqu’à faire naître un sens nouveau dans le dédale de l’intime. L’ignorance devient savante, le désordre devient juste.
Avec L’étoffe des jours, Jean-Michel Guyot livre un texte aux frontières mouvantes, un vêtement sans taille, cousu sur mesure pour le lecteur-poète, qui saura s’y glisser. Il y a là une étoffe rare, à la fois douce et tranchante — celle qui, comme l’amour, ne se laisse jamais entièrement saisir.