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Un désir de pluralité
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 Article publié le 6 avril 2014.

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Le pluriel, la multiplication de l’un, ou bien alors sa démultiplication, à ceci près que le multiple, en ses plis, n’approche jamais l’un que de biais, qu’il soit la résultante d’une multiplication ou d’une démultiplication étant indifférent, ce qui, en soi, suffit à justifier l’intention de son approche biaisée : si l’un se trouve démultiplié, alors, ce ne peut être que dans un jeu de miroirs qui se renvoient toujours la même image obsessionnelle, tandis que la multiplication, elle, est tout simplement la réplication à l’identique du même : empilement ou feuilletage de l’un qui n’en peut mais.

La démultiplication, bien sûr, vise l’augmentation de la puissance de l’un captée à des fins de puissance au profit non exclusif de qui tente sa chance dans les parages acérés de l’oubli de soi : à toutes fins utiles, sa mise en puissance par lui-même, soit la puissance infinie de soi convoitée dans l’approche déchirée de l’autre toujours autre -, tandis que la multiplication se contente plus platement d’une linéaire reproduction de l’un à l’infini.

Linéarité de l’un multiplié et circularité de l’un démultiplié.

Sorte de décoloration du réel au moment-même où, passé dans ce filtre d’amour qu’est devenu l’être aimé comme un prisme, ce dernier absente sa présence pleine et entière au bénéfice louche mais sûr d’une présence éclatée-éclatante.

La captation d’échanges multiples induit cette capture d’oubli qui rôde dans l’inconscient de qui s’adonne à la passion incessante du multiple : l’oubli tient captif qui pense l’un sous le signe exclusif du multiple dans le temps-même - le temps du fantasme réalisé - où il s’achemine vers l’oubli de la source pour se laisser emporter par le fleuve de ses espérances ferventes muées en désirs ardents.

L’oubli joue un rôle moteur dans le fantasme créatif. La création n’est pas exactement le produit de l’oubli : c’est l’oubli qui est comme recréé, recraché par la création.

Il se conserve en elle sous les formes que l’œuvre métamorphique et polymorphe lui accorde.

Se dessine là un rapport au temps du fantasme qui, d’une régression involutive, fait un élan puis un saut par-dessus le temps des peines et des joies, mais finalement c’est la chute dans le fleuve qui s’avère décisive en ce qu’elle décide de l’avenir à donner à ce mouvement de perte consentie qui fait tout le prix du saut dans l’inconnu approché sous les divers angles d’une figure inédite.

Chute dans le fleuve gourmand qui emporte et l’oubli et son impossible objet vers l’océan aux vagues nombreuses qui déferlent sur la côte pour rappeler qui s’est oublié dans l’oubli au bon souvenir du saut qu’il lui faut recommencer encore et encore, sauf à disparaître corps et bien en-deçà du possible réalisé dans l’amour pour la perte de soi dans la plus grande concentration de soi. 

Comme si l’oubli s’oubliait dans le souvenir de son oubli, soit l’exacte inversion de l’oubli de l’être qui ne se sait pas oublié dans le Dasein qui ne sait pas qu’il a oublié l’oubli qui s’étale à foison dans la demeure mourante de l’être délaissé.

Ce qui pose le problème du sujet comme projet de l’oubli.

C’est le délaissement qui laisse toute latitude au multiple pour se déployer dans l’univers foisonnant des images.

Unité qui a versé dans le multiple, le monde éclaté se ressaisit et se rassemble dans l’œuvre ouverte sur la perspective de sa chance : au fil des pages se cherche la page ultime, la page des pages, introuvables parce que partout et nulle part.

Prenez l’un démultiplié et dévidez-le tel le fil d’une pelote de laine et vous comprendrez que de l’un à l’autre il n’y a en fait qu’une différence d’usage du seul et même matériau : l’un vécu comme ne se suffisant pas à cet autrui que vous désespérez d’être pour lui dans le désir que vous avez de ne faire qu’un avec lui.

L’image n’est pas prise pour ce qu’elle est : un substitut du vivant qui n’en passe pas par la représentation, non-passage qui n’est possible que si les deux forces en présence - puissances du regard toutes deux et qui convergent dans leur mutuelle divergence d’approche - s’accordent sur le désir de ne pas faire de l’autre une image de soi augmenté de la puissance de ce même autre.

Soit le refus énergique et viscéral de toute hystérie.

La multiplication de l’un est cette tentative de déplier l’un conçu comme feuilleté. C’est ce feuilletage qu’évoque la puissance du livre qui, de page en page, dit et redit le même.

Au fil des pages, en effet, se dessine une unité éclatée, oxymore du regard qui se regarde être regardé pour mieux suivre le fil d’Ariane de ses pertes multiples et que tout lecteur heureux s’enchante de vivre.

Nous sommes loin alors du malheur propre à l’éclatement du moi qui tente de se survivre dans l’amour de ce Janus qu’est l’être, lorsque, projeté dans cet univers kaléidoscopique que constitue le monde appréhendé par celui qui le craint, celui-ci s’avise de regarder le passé pour mieux appréhender l’avenir.

Il y a du vertige, ainsi, à regarder dans deux directions opposées une image mouvante qui, pour ne revenir jamais qu’à son impossible elle-même, passe inlassablement d’une configuration à une autre.

Biaiser avec l’un, voilà donc le projet, jusque dans ses infimes-intimes ramifications.

Porter par le désir de l’un et de l’unité qu’il promet - deux est deux qui ne font plus qu’un, le singulier du verbe être se portant pour ainsi dire garant de l’opération de transmutation du deux en un - le sujet qui opte pour la pluralité de l’un fourvoie l’unité dans le dédale du multiple et se fourvoie dans la mise en abyme de son moi facetté : on ne se prend pas indéfiniment pour soi-même impunément.

La pluralité recherchée en elle-même est sans doute un leurre, commode en cela qu’elle permet de voiler ce qui est recherché dans la culpabilité : pour ainsi le dire, une approche cubiste du corps de l’être aimé.

Est-ce un hasard si ce Priape de Picasso participa activement à l’élaboration de cette école de peinture qui eut pour ambition de démultiplier le regard ?

Multiplier les angles de vue et de vie, vivre l’image de l’un sous divers angles contemporains, ainsi faire mentir l’approche toujours retardée de la statue parlante - la femme aimée vue sous tous les angles en même temps, mise pour ce faire sur un piédestal, afin de l’en mieux faire descendre - voilà qui atteste d’un possible qui touche aux limites de l’impossible fait chair.

Fait chair, car l’impossible s’incarne d’étape en étape dans le voyage de possible en possible, et donne ainsi à sentir toute la puissance du négatif qui le propulse vers cette absence à lui-même que nous recueillons en propre dans la transmutation de notre être voué à l’impossible qui s’incarne en nous, maintenant que nous avons placé notre être sous le signe actif du multiple. 

La chair de l’impossible est touchée, ravie, exaltée par cette palpation des yeux qui sont partout en même temps, à la condition expresse que le corps désirant-convoité accepte de se voir dans d’autres corps que lui-même, au moment de l’acte sexuel accompli à plusieurs.

C’est un grand bonheur qui est touché là.

C’est la mise à l’épreuve de l’autre multiplié, démultiplié qui ramène à l’être aimé dans et pour son goût du multiple qu’il a tout loisir de vivre en en dépliant tous les angles d’approche en notre compagnie aimante.

Jean-Michel Guyot

2 mars 2012

 

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