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Article publié le 31 mai 2014. oOo editions-brunodoucey.comNée en 1957 à Trois-Boutiques, Ananda Devi se passionne très tôt pour l’écriture. + 15 ans, elle remporte le prix d’écriture de l’ORTF. Après avoir soutenu un doctorat en anthropologie sociale à l’Université de Londres, elle revient à la littérature et publie ses premiers romans, dans une maison d’édition africaine puis dans différentes maisons d’édition françaises, notamment l’Harmattan et aujourd’hui Gallimard : +ve de ses décombres (2006 ; prix des Cinq continents de la francophonie, prix RFO du Livre), Indian tango (2007 ; sélection, prix Femina), Le Sari vert (2009 ; prix Louis Guilloux)… Parmi ses textes poétiques : Le Long Désiret Quand la Nuit consent à me parler, sorti aux éditions Bruno Doucey en 2012. Ananda Devi est chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres depuis 2010. Percale J’ai beau me percer le bout des doigts, l’encre ne vient pas. C’était pourtant une belle habitude. La première fois, ce fut par accident : assise, petite fille sage à la robe froncée, genoux croisés, souliers et socquettes blancs, frange au front, cheveux très longs nattés serrés, joues rebondies de caresses, bouche précise, condensée, bref frémissement des narines prêtes à pleurer, ordre de ma mère de bien faire attention, petites mains malhabiles malaisées tenant, la gauche, un carré de percale écrue, la droite une aiguille presque trop fine pour être vraie : je cousais. Mais d’abord, il fallut enfiler l’aiguille. Mouillage du fil d’une langue humide pour l’obliger à passer par le chas, par le chas, le chat gris qui fuit la nuit, le chas de Schéhérazade,
mais non, mon esprit m’entraînait trop loin, ce n’était que la corvée de couture et voilà le fil qui traversait, presque sans trembler, la minuscule fente à travers laquelle même l’air ne pénétrait, et, impatiente, je piquai l’aiguille dans la percale et, inconsciente, l’enfonçai avec délice dans mon index charnu. Il s’écoula de mon doigt une encre rouge. Un mince flux précis, avec lequel, fascinée, après le premier cri de surprise blessée, je me mis à former des lettres sur le tissu. Cela me sembla plus aisé que l’enfilement de l’aiguille et le lent dessin, point par point, d’une arabesque de soie. Ma mère ne parvint à m’apprendre ni la couture ni la broderie. Mais quels jolis mots ornèrent ma mémoire ! Longtemps je brodai de mon sang le tissu de mes rêves. Hélas ! Je finis par épuiser les quelques litres qui m’emplissaient, et, pâle et décharnée, j’eus beau prospecter ma chair, je n’en tirai que le silence. |
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