Né à Cordoba en 1934, Antonio Segui s’installe à Paris
en 1963, ce qui ne l’empêche pas de voyager régulièrement en Argentine
jusqu’à ce qu’il soit interdit de séjour par le régime militaire, de 1975
à 1984. Jusqu’en 1965, sa verve expressionniste s’exerce avec fureur contre
les juges, les généraux, les requins du monde industriel ou financier, les
marchands d’homme comme les marchands de canons et tous ces individus dotés d’un
pouvoir de nuire qui leur permet impunément de rendre la vie de leurs
contemporains insupportable. En 1965-1966, un grand assemblage aux couleurs
vives, composé de relief en bois découpé, annonce que le peintre change de
programme. Sa colère noire s’éclaire et s’apaise pour faire place à une
déclinaison primesautière d’archétypes familiers. L’inventaire de A
vous de faire l’histoire, repris dans un assemblage encore plus grand en
1966-1967, bascule du côté des hommes du commun, de leurs petites maisons, de
leurs animaux domestiques , des paysages jolis comme des jardins d’enfants ou
des îles tropicales, des paquebots et la mer, des cerises, des gants et des
chapeaux. « Dans mon enfance, se justifie-t-il, tout le monde portait le
chapeau. » Lui-même ne le quitte guère ! Ses personnages non plus ! C’est
ainsi chapeautés qu’ils ne vont plus cesser de courir les rues et les
squares. Ils se regroupent en foule, déambulent dans tous les sens, se croisent
sans se voir, rêvent, solitaires, à d’innombrables rencontres bruyantes,
hantent les jours et les nuits de la grande ville et les allées des jardins
publics, se glissent entre chien et loup dans un univers urbain chaotique et
menaçant, plein d’ombres furtives et de marionnettes anonymes. En somme, l’histoire
forcément nostalgique du temps perdu par les hommes pressés. >Galerie
Serge LAURENT |