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 Article publié le 12 octobre 2015.

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C’est à travers une enfilade de colonnades que la silhouette revêtue d’une combinaison unie avance d’un pas décidé, d’un pas régulier, d’un pas martial, avance suivant la cadence naturelle de son corps qui exige, à chaque foulée, un déhanchement, aussi minimal soit-il.

Aussi ineffable.

La lumière matinale, la lumière vespérale, la lumière matinale, puis vespérale …

Le disque montre les aspects de sa mutation selon la descente … ou l’élévation …

Plusieurs fois avant que la grande silhouette aux cheveux bruns comme la nuit parfaitement coiffés – hiératiquement ou martialement pourrait-on dire – ne matérialise sa décision, celle de répondre à ma convocation, celle de se rendre jusqu’à ma demeure, jusqu’à cet immense édifice rectangulaire entouré de cours et de jardins, jusqu’à ce vaste ensemble qui s’étire sur une surface importante dont l’accès est multiple, oui, très multiple.

A l’intérieur, dans une grande salle – la salle de réception en quelque sorte - , ma haute stature fait quelques pas sous la forme d’aller-retour, les bras croisés derrière le dos, seul le bruit de mes semelles affirmant son évidente légitimité, celle de rompre le silence, un silence empli, donc, un silence habité par l’itération d’un bruit mat, un bruit étranger au phénomène de saturation. Pendant ce temps, la barbe de quelques jours qui orne mon visage continue de croître invisiblement – invisiblement et harmonieusement - , pendant ce temps, les virgules qui se confondent avec la courbe de mes sourcils continuent de lentement s’épaissir, pendant ce temps, également, la densité de mes cheveux bruns à la fois courts et épars augmente peu à peu, progressivement … incessamment.

Elle doit être, maintenant, à l’heure actuelle, sur l’esplanade qui mène à la première façade, une longue façade blanche d’inspiration classique, oui, elle doit être dans l’encadrement qui permet d’embrasser la totalité de l’espace, un espace composé de rectangles d’eau, de rectangles bleu symétriques, autour desquels des cylindres en pierre se succèdent, du sol au plafond, tandis que sa combinaison martiale emprunte énergiquement la voie centrale, la voie principale, une voie au bout de laquelle un escalier aux multiples marches attend la continuité de ses pas, la pression de ses muscles.

Au-dessus, tout au-dessus, le moutonnement de l’azur est loin, oui, de panoramique et étendu - de ses extensions mobiles – il vient de se désagréger, il vient de se dissoudre, cédant la place, là, maintenant, à la composition d’un bleu mat, total.

Globalisant.

Si la structure narrative continue d’affirmer sa matérialité, sa visibilité, c’est qu’elle demeure supérieure aux ruines.

La sentinelle ou recrue, maintenant, pénètre dans l’espace intermédiaire, dans l’espace de transition, un espace non moins bâti sous le sceau de la subjectivité, une vision qui allie le sens de l’accueil, le goût de l’espace, celui, aussi, de la démesure, comme en témoignent le nombre de losanges, la hauteur du plafond, l’épaisseur des rampes, sans oublier la longueur des marches, empruntée, maintenant, par cette potentielle recrue.

Je l’entends monter, je l’entends se rapprocher, oui, tandis que mon regard épouse les contours des végétaux, au loin, de ces bois regroupés, de ces plaines, de ces forêts …

Le silence, à nouveau, revient, avant qu’un bruit mat et sonore ne heurte la porte.

L’autorisation d’entrer, que je viens de prononcer, précède l’avancée de sa silhouette, une longue combinaison verticale debout devant moi, là, à une distance respectable.

Par Vénus … comment orienter la narration vers une description à la hauteur de ce que je vois ?

Comment, tout simplement, ne pas lui tresser des lauriers ?

Oui, des lauriers ?

 - Bonjour, monsieur, me dit-elle d’une voix nette et compacte, d’une voix douce, métallique, d’une voix posée.

 - Vous savez que je vais vous poser un certain nombre de questions, n’est-ce pas ?

 - Oui. Je suis prête. Je suis prête à tout entendre.

 « Oui, les femmes sont prêtes à tout entendre, je le sais » , me dis-je en passant derrière elle, les bras croisés derrière le dos, ayant au passage laqué les formes de son corps, de mon regard urbain et non moins courtois.

 - L’espace est grand, ici, vous le savez ?

 - Oui, monsieur.

 - Affranchissez-vous du « monsieur ». Ce n’est pas obligatoire.

 - C’est pourtant ce que vous inspirez, me répond-elle sans hésiter, droit dans les yeux, le métallisme de son regard s’étant quelque peu relâché, sans pour autant perdre de son éclat.

 - Ce que j’inspire ou ce que je vous inspire ?

Elle semble chercher ses mots. Pendant ce temps, la ligne de ses épaules, la forme de son buste, l’épure de son visage … l’enveloppe de son squelette mise en relief par la matière de sa combinaison sont absorbés par mon regard et mon cortex.

 - Les deux, monsieur.

 - Vous êtes une dame de bonne éducation. De très bonne éducation, lui dis-je en m’écartant, me dirigeant, maintenant, vers la fenêtre et l’horizon.

En bas, en contrebas et dans une longue perspective, les haies de lauriers s’étendent, les hauteurs respectives étant rigoureusement symétriques.

 - Je dois vous poser quelques questions incontournables. Mais je n’en ai pas vraiment envie.

 - Comment connaître ma valeur ?

 - Eh bien, je préfère vous voir à l’œuvre. Directement. Pragmatiquement.

 - N’est-ce pas … aller un peu trop vite ?

 - Au contraire. Vous voyez, je vous fais déjà confiance, en quelque sorte.

Sa bouche, sa jolie bouche s’entrouvre tandis que sa posture martiale reste en l’état.

 - Avez-vous déjà accompli le type de mission dont j’ai fait mention, dans mon courrier ?

 - Pas encore, dit-elle aussitôt d’une voix nette et posée. Vierge professionnellement … du moins à ce niveau.

 - Seriez-vous prête, là, maintenant, si je vous proposais cette mission ?

 - Oui.

 - Seriez-vous prête à courir les risques inhérents à cette mission ?

 - Oui.

 - Seriez-vous prête à aller jusqu’au bout ?

 - Oui.

 Le rythme de la narration vient de s’accélérer soudainement, emportant avec lui celui des intentions, intensifiant, aussi, l’intensité de nos regards respectifs.

 - Je vous sens de plus en plus à l’aise, avec moi. Avec moi et … dans l’entretien, lui dis-je très posément.

 - A quoi le voyez-vous ?

 - Vous venez de vous affranchir à plusieurs reprises du mot « monsieur » .

 - Oui. Mais … je n’en pense pas moins … monsieur.

Après une visite partielle de mon domaine, je la conduis dans une salle d’étude où doit se poursuivre l’entretien. Par la baie vitrée, on aperçoit à nouveau les rangées comme sans fin de lauriers dont la perspective s’échappe au-delà du domaine, là-bas, vers la ligne de l’horizon, une ligne lointaine.

 - Ecrivez, lui dis-je après son installation au bureau ou secrétaire qui se trouve au milieu de la pièce.

Le débit de mes paroles semble se mélanger au rythme ininterrompu de mes pas, cependant que mes bras demeurent croisés, derrière le dos.

Maintenant, je m’approche d’elle, afin de lui demander ce qu’elle en pense, un prétexte à la poursuite de l’entretien, de plus en plus en plus informel, sans qu’il ne perde de sa texture professionnelle.

 - Monsieur ? dit-elle en relevant la nuque vers le plafond.

 - Oui ?

 - Cette fresque unique ... il s’agit bien d’un laurier, n’est-ce pas ?

 Il y a une limite professionnelle à ne pas franchir, ou plutôt qui doit demeurer infranchie ... nonobstant l’attraction puissante, particulièrement puissante de ses lèvres, de sa bouche ...

 Je la vois, déjà, m’accompagner ou m’escorter, dans ce vaste cadre urbain, à l’intérieur de ce grand périmètre matérialisé par d’incessantes figures géométriques au-dessus desquelles la compacité de l’azur étale son silence ...

 - Acceptez-vous de travailler pour moi, Vénus ?

 

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