La photographie est une marge bizarre de l’art. Baudelaire la détestait (comme la démocratie) - trop récente pour l’esthétisme aristocratique du Poëte. Il y a une vraie photographie, consciente d’elle-même et de ses moyens techniques ; je ne m’y mesure pas. L’appareil m’accompagne ; l’oeil photographie un lieu avant toute autre mécanique ; la discontinuité - source de déception - entre la chose vue et la chose photographiée - me laisse pensif. Les paysages, les ready-made du quotidien (plus aisément transportables que si l’on voulait en faire collection, ramassant un coussin moisi posé sur un fauteuil démantelé...), s’accumulent en petits cadres de papier lissé. Je ne veux rien noter ni lieu ni date. Ce parti-pris de laisser-aller favorise une approche non "locale" de la photographie. Les lieux mêlés, détails et paysages, dessinent une fresque dont les discontinuités ne me gênent pas, au contraire.

C’est que je voyage peu, circulant autour d’une zone privilégiée qui est la Seine saint Denis, ou plus exactement cette portion de la Seine saint-Denis qui décrit une courbe de nord en est : Saint-Denis, Bobigny, Bondy, les Pavillons sous Bois, Noisy le Sec, Noisy le Grand. La confusion engendre un ordre statistique : statistiquement, dans toute brassée de photographies, ce seront n % en Seine saint Denis, n % ailleurs. Si je voyageais demain beaucoup, je procéderais peut-être autrement. Mais ce ne sont pas des photographies documentaires. Elles sont - bizarrement peut-être - des épreuves du regard plutôt que de la réalité.