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De pont en pont
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 Article publié le 23 avril 2017.

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J’ai conseillé à cette femme de s’acheter un sextant. En deux temps, et deux ou trois mouvements, c’était fait. La bougresse était agile.

Je fournissais le sexe, elle apportait le temps, y mettait une précision de géomètre averti des moindres faits et gestes de l’humaine condition.

Femme entre les femmes, elle savait s’y prendre. L’horizon de sa quête m’échappe encore en dépit des calculs nombreux qu’elle voulait bien essayer sur moi, le temps d’une passe d’armes sur le pont.

Les rivières coulaient doucement entre ses jambes. Elle était le pont et moi le point de ralliement, là où le vieux pont de pierre fait le dos rond, souriant à la rivière nonchalante qu’elle avait choisi d’investir. 

Pont de verre aussi bien qui donnait à voir la rivière qui coulait entre ses jambes. Armée de mon sexe, ayant tout le temps qu’elle divisait en six parties égales, elle devisait vivement sur le pont baigné de lumière.

Aucun passant ne venait écarquiller les yeux sur notre passage, seule la rivière souriait à nos ébats. Elle se débattait beaucoup, avant de plonger nue dans les eaux vertes. C’est qu’elle et la rivière, c’était tout un.

J’étais le bras armé de sa quête, ne sachant jamais où elle allait frapper.

Le sextant divisait l’espace conscient en six régions distinctes qu’elle s’employait à explorer minutieusement. Elle aimait ce corps vigoureux qui résistait à sa prise, tout en donnant prise aux courants qui l’animaient.

La mer, l’océan ? Cadet de ses soucis. Elle ne naviguait qu’en eaux vives, jamais en eaux troubles. Sa langue seule était saline, je la goûtais fréquemment du bout de mon sexe. De longues algues vertes ondulaient dans les eaux frémissantes.

C’est lorsque nous nous sommes embrassés, qu’elle s’est embrasée.

Dans l’embrasure de la porte, il y avait eu dans l’enfance cette femme nue qui souriait en direction de la fenêtre ensoleillée. Un arbre - un érable si mes souvenirs sont bons - balançait sa ramure. Le vent était vif, aérait toute la pièce baignée de lumière. Caché que j’étais sous la table de toilette, elle ne pouvait me voir.

Nos baisers firent revenir cette scène insolite, la portant pour ainsi dire au carré de sa puissance. Les chairs vibraient, annulaient le temps, ouvrirent une brèche multicolore sur la vie environnante. Je ne l’en oubliais pas pour autant. Extraordinairement présente dans l’image, elle ne se superposait pas à l’espace passé qui resurgissait.

Nous fîmes ainsi l’expérience d’un dédoublement salvateur qui dure jusqu’à nos jours. Je n’étais pas elle, mais elle se confondait en moi, tant l’image surgie d’elle était confondante.

Les rivières coulent encore, et le pont va et vient de paysage en paysage, situe toujours le plaisir nomade qui déchire en un lieu précis qui découle de nos amours tumultueuses.

 

Jean-Michel Guyot

16 avril 2017

 

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