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Phénoménologie du baiser
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 Article publié le 3 mai 2020.

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Il n’y a rien de plus pornographique, sans doute, que le baiser.

En effet, le paroxysme de l’indécence se situe dans cet interface entre l’homme et la femme, dans cet espace sans fin qui ne cesse de diminuer sous la volonté des deux intentions, de ces deux visages aux morphologies fortement différenciées qui se regardent en un premier temps avant, peu à peu, lentement, progressivement, de rapprocher leurs contours faciaux jusqu’à ce que les paupières, d’elles-mêmes se closent dans un mouvement instinctif, donnant toute latitude, donnant toute liberté à la jonction des bouches, des lèvres qui ne savent pas encore quelle forme prendra leur interaction.
C’est l’interaction qui donne forme au baiser.
Les différences anatomiques s’agrègent tout en douceur, donc, surtout pour les deux adolescents ou jeunes gens que sont la fille et le garçon. Ils se connaissent du regard, ils se connaissent de la parole, mais pas encore du baiser. D’autant qu’il s’agit du premier.
Oui, le premier baiser …
Celui qui interrompt le regard, celui qui interrompt les mots, celui qui interrompt toute pensée ou spéculation … pour laisser place à l’accolement des lèvres, pour laisser place aussi, peut-être, à la rotation intra-buccale ou pénétration dont la durée peut allègrement se prolonger et transformer le premier baiser en baiser confirmé … le novice se découvre chevronné …
L’itération du baiser n’est jamais identique, chaque mouvement des muscles et de la peau étant subjectivement inédit. C’est donc un éternel renouveau qui s’opère, là, sous les yeux clos, une convocation volontaire, de surcroît, au souvenir ou ressouvenir …
Dans tous les cas de figure, c’est le rapprochement, c’est l’agrégation des altérités qui s’arroge la totalité de l’espace-temps, pour un temps, pour un instant indéterminé.
C’est la jonction des continents …

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  Le baiser de Pucheu par Jean-Michel Guyot

Un certain nombre d’existants - des étants-états-actes-actions, qui persévèrent dans l’être en se répétant, font événement et ainsi, ni fugaces comme un clin d’œil, un éclair qui zèbre la nuit violette ni objectivement pérennes comme peuvent l’être un meuble à l’échelle humaine, une montagne à l’échelle géologique… - ont pour le regard exercé une phénoménalité agissante qui, dans le texte de Stéphane Pucheux, prennent une tournure foncièrement abstraite.

La tournure d’esprit de l’auteur incline celui-ci à poser un vêtement d’abstraction sur tout ce qu’il observe. Voilà un usage de l’abstraction que je qualifierais volontiers de sanctifiant : il ennoblit ainsi des microphénomènes subtils très subtilement observés qui ne sont décrits ni en termes purement anatomiques ni en termes simplement dynamiques.

Certes, il y a bel et bien une dramaturgie qui va de l’envie-intention d’échanger un baiser à l’expérience du baiser itératif, mais l’on sent bien que, de bout en bout, notre auteur traque le sens de cette action de rapprochement.

Le propos n’est ni purement descriptif ni totalement abstrait.

Néanmoins, il se teinte d’emblée d’abstraction jusqu’à se parer de toues ses plumes en culminant dans cette phrase étonnamment séduisante : Dans tous les cas de figure, c’est le rapprochement, c’est l’agrégation des altérités qui s’arroge la totalité de l’espace-temps, pour un temps, pour un instant indéterminé.

Un seul terme dynamique : rapprochement, et une pléthore de notions abstraites présentées comme des données fixes, des vérités éternelles, des invariants de l’expérience humaine, comme vous voulez, dans le cadre desquels se déroule une intention et une action de rapprochement.

Sont ainsi disposés-disséminés dans le corps du texte des jalons conceptuels présentés comme des évidences qui en cela méritent, si l’on suit l’auteur, une dénomination sans discussion : la volonté des deux intentions en est un bon exemple.

Se situer, ne cesser de diminuer, se regarder, s’agréger, s’interrompre, laisser place, s’opérer : voici les verbes employés par notre auteur et qui permettent de dynamiser son propos au sein d’une phénoménologie qui, par son goût pour l’abstraction généralisante, tend à se mouvoir dans un champ conceptuel à la cohérence prédéterminée, antérieure aux phénomènes observés : une grille de lecture s’impose aux phénomènes observés, et non l’inverse.

En effet, chez notre auteur, c’est la pensée qui informe la réalité. Stéphane Pucheu serait-il kantien ?

L’inverse voudrait que le réel informel-indistinct de prime abord prenne formes et couleurs, que l’acabit propre à tout phénomène oriente l’observateur vers l’observé de telle manière que ce dernier en tire a postériori un sens, une leçon.

Leçon de vie, leçon de choses.

Ainsi, Stéphane Pucheu ne nous dépeint pas un baiser, mais le sens qu’il prend pour deux personnes qui échangent un baiser, puis deux, puis trois, etc… et pour ce faire il recourt à l’abstraction, tirant ainsi sa notion de baiser vers le haut, vers l’idéalité.

L’on pourrait s’amuser, tout au contraire, à décrire un baiser avec force détails anatomiques -termes qui, comme tout le langage d’ailleurs, relève d’une volonté d’abstraction - et insister sur la dynamique du baiser, sa sapidité, sa nervosité ou sa langueur, les mucosités qu’il met en jeu, la salive, l’haleine, le choc des dents de porcelaine ou cariées, pourries, déchaussées.

Quoi qu’on dise, un baiser qui reste un baiser n’a pas sa place dans le langage en tant que tel. 

A minima, il révèle une intention, un désir, un élan charnel au cœur d’une narration, a maxima il est pris dans les filets d’un lexique phénoménologique propre à cette philosophie dont on sait que la notion d’intentionnalité est la base, comme l’a monté Jean-Paul Sartre dans un article célèbre repris dans Situations 1.

Le charme du texte tient aussi à sa force assertorique : d’entrée de jeu, Stéphane Pucheu nous assène une vérité : Il n’y a rien de plus pornographique, sans doute, que le baiser.

Cette assertion met en appétit notre curiosité pour les choses du sexe, à peine atténuée par un sans doute de bon aloi, curiosité qui oscille, selon notre tempérament, entre la taxinomie descriptive à la Krafft-Ebing qui nous offre un panorama exhaustif des perversions humaines qui s’apparente à un musée des horreurs et le désir de comprendre ce qui se joue dans telle ou telle pratique sexuelle, jugée perverse ou non, à la manière d’un Sigmund Freud. 

Il n’y a rien de plus… Assertion fort audacieuse ! Elle fonctionne à la manière d’une captatio benevolentiae lancée à la foule par un bateleur. On ne peut qu’y prêter attention, car on ne voudrait manquer pour rien au monde le spectacle qui s’annonce là.

Son texte, abstrait de bout en bout, se conclue par la métaphore de deux continents qui opèrent leur jonction. Doit-on y voir une allusion à la célèbre assertion ? :

No man is an island entire of itself ; every man
is
a piece of the continent, a part of the main ;

Se joue là l’idée d’une séparation de nature historique étrangère à quelque jonction que ce soit, telle que suggérée par Pucheu, et tout aussi étrangère au malheur originaire narré par le mythe platonicien d’un être hermaphrodite coupé en deux, séparé de sa moitié.

John Donne parle d’humanité et non de deux genres séparés initialement réunis en une seule entité, tandis que Stéphane Pucheu voit s’opérer le rapprochement homme-femme par le truchement du baiser, prenant ainsi acte d’une séparation de fait des corps masculins et féminins, et au-delà de tout existant séparé des autres existants, que ceux-ci soient conçus comme des semblables, des frères, à la façon française-universaliste ou comme des êtres irréductibles l’un à l’autre à la mode du multiculturalisme nord-américain qui prône le chacun chez soi dans sa « communauté ».

Unité perdue chez Platon, unité du genre humain - la métaphore continentale - chez l’insulaire John Donne, rapprochement de deux continents chez Stéphane Pucheu qui reprend à son compte la métaphore continentale inventée par John Donne, en la détournant de sa visée universalisante.

Le désir de ce que l’autre genre n’a pas, parce qu’il l’aurait perdu, sous-tend le mythe platonicien.

Mais pourquoi désirer posséder dans son propre corps les attributs ou caractéristiques sexuelles de l’autre sexe, alors que seule l’altérité permet un rapprochement qui n’est pas nécessairement fécond mais, à tous égards, fertile en rebondissements érotiques de tous ordres ? 

La question se pose évidemment à la vue de toutes les sexualités non hétéros qui revendiquent haut et fort leur place au soleil de l’amour. L’altérité se loge jusque dans le cœur du Même, elle est la séparation des corps, antérieure à toute définition genrée.

Toute la courtoisie du monde plaide en faveur d’un rapprochement non pas de deux continents séparés par on ne sait trop quelle tectonique des plaques occasionnant dérives, failles, séismes et raz de marée mais de deux êtres du même sexe ou de deux sexes différents ou transgenres que le simple fait d’exister sépare avant même toute différence sexuée avérée ou normée.

Et c’est là que les lectures croisées de Bataille et de Blanchot nous sont d’un grand secours.

 


 

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