D’un milieu très modeste à l’université, de l’apprentissage de la langue à sa conquête, d’Alger à Paris, de résultats remarqués à l’école de la République - accompagnés du soutien de certains professeurs - jusqu’à l’affirmation d’une passion pour la littérature concrétisée par la naissance du triptyque des années 40 - "L’Etranger", "Le mythe de Sisyphe", "Caligula" - , voilà un condensé du parcours camusien, un parcours qui le conduira à devenir un véritable aristocrate de la littérature, la noblesse se définissant par l’appartenance à une élite, par le biais du travail ou du mérite.
En étoffant quelque peu, on peut rajouter un style limpide, fluide, un style tranché, un style en reflet avec le décor qui l’a vu naître, le dépouillement que constituent la mer Méditerranée et le soleil où, finalement, tout a commencé.
La suite des oeuvres d’Albert Camus est plus facilement interprétable, beaucoup moins étrangère en somme.
Un narrateur libre confronté aux conventions, la reprise d’une figure mythique incarnant l’éternel recommencement ou la foi dans le labeur, les excès et la démesure du pouvoir ... en trois livres, Albert Camus dit probablement l’essentiel de ce qu’il avait à dire, inventant de nouvelles formes narratives en plaçant au premier rang, en pleine lumière l’homme contemporain, un mélange de substance organique solitaire et solidaire, un individu qui affirme sa liberté, plus que jamais.
La liberté ... une éternelle préoccupation qui n’a pas de réponse précise, ce qui est bien la preuve de l’essence de sa texture, c’est-à-dire le mouvement.
A partir de " L’Etranger " , de nouvelles voies narratives sont ouvertes, un nouvel espace-temps peut être exploré, autrement dit une autre façon de nous-mêmes ou plutôt ce que nous sommes devenus. Cette oeuvre, née dans les ruines de l’esprit européen, est bien le symbole de la reconstruction, de la renaissance, avec en son sein de nouveaux matériaux cognitifs sur la nature humaine. Le roman antérieur et son histoire sont dynamités, désormais l’écrivain s’interroge sur le monde.
Au-delà de l’absurde, au-delà de la liberté, c’est tout simplement du sens qui est créé, érigé, un sens qui signifie le mouvement perpétuel du monde avec ses multiples contradictions. L’esthétique est très marquée dans le style et l’atmosphère camusiens, se réfléchissant comme un moyen et non une fin. Albert Camus est donc avant tout un artiste.
Son discours de Suède, en 1957, en atteste : c’est un modèle d’orfèvrerie littéraire dans lequel on retrouve tout son engagement pour la littérature.
Un demi-siècle après sa disparition, nous sommes plus étrangers à nous-mêmes que jamais, ce qui signifie ni un repli sur soi ni un refus du monde, mais au contraire une conscience plus aiguë et plus lucide. A travers sa pensée agressive, c’est l’esprit français qui est tout entier incarné, dans une vision du monde toujours curieuse et jamais figée.
Albert Camus ou une leçon de lucidité. Mieux encore : une leçon de précocité.
Des éclats de soleil, une lumière crue ... qui scintillent toujours.