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La calbombe céladone de Patrick CINTAS
Le désir et la faim
Gonze à l’aise et sans chaise

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 Article publié le 14 mai 2010.

oOo

Tout le monde[1] connaît au moins deux Espagnols : Sanchez, qui se tient debout, et Gonzalez, qui est assis. Le Français s’appelle Henri[2], tout simplement et sans jeu de mot, comme il sied à un Français.

En Espagne, on aime se rappeler que l’illustre Napoléon, premier du nom, s’est pris une pâtée non pas parce que les Anglais était de la partie, mais parce que le peuple espagnol a inventé, un peu avant les syndicats, la guérilla, réponse d’ailleurs adéquate aux massacres perpétrés par des révolutionnaires convertis à l’impérialisme.

Sanchez et Gonzalez occupaient depuis des jours une position peu enviable dans une tranchée creusée face aux installations de l’ennemi français. Ils rongeaient leur frein. Sanchez avait de l’expérience et connaissait des trucs que Gonzalez ignorait parce qu’il venait d’arriver. Aussi, Sanchez formait le bleu à l’extermination de l’occupant.

— Ça doit pas être facile de les avoir, dit Gonzalez désespéré.

— Oh ! Si que c’est facile ! exulte aussitôt Sanchez.

Il prend alors la position du tireur et, au lieu de serrer les dents comme Gonzalez se l’imaginait déjà, il met sa main libre, celle qui tenait l’affût, en demi porte-voix, maintenant l’autre main sur le pontet, prêt à actionner la gâchette. Gonzalez retient son souffle, ne sachant absolument pas ce qui allait se passer.

— Henri ! appela ensuite Sanchez d’une voix si fluette que Gonzalez crut qu’une petite fille venait de s’exprimer. Écoute ! fit aussitôt Sanchez.

— Oui ? fit une voix tout aussi mignonne qui venait d’en face.

Sanchez pressa la détente. Le soldat français qui s’était levé pour répondre à l’appel de son nom s’écroula, mort.

Gonzalez cessa de respirer.

— Tu vois ? dit Sanchez. C’est des gonzesses, ces mecs.

Et, hilare au point d’en pleurer, il se mit à imiter le Français devenu mort : « Oui ! Oui ! Oui ! », exagérant peut-être le côté joyeusement efféminé de ce qui, dans sa langue maternelle, ne peut être aussi finement interprété dans le sens d’un raffinement qui confine à la dévirilisation.

Plus tard, l’occupant français ayant été chassé, Gonzalez continua de vivre avec l’expérience de la guerre, mais son existence avait basculé des rigueurs du combat à la dureté des conditions économiques. Rapidement dit, il crevait de faim à peu près tous les jours. Sanchez n’était plus là pour le conseiller et lui permettre d’avancer dans la société où il n’occupait que rarement une position. Il était plutôt enclin à l’attente et connaissait toutes les ficelles pour calmer la faim et les prurits. Des Français, il en venait d’autres, sans armes, mais tout aussi efféminés. Il en riait moins souvent. Il en riait tout de même.

Un jour que la faim le tenaillait particulièrement, il s’approcha d’un carrosse de marque Renault dans lequel des poules gloussaient. À travers une vitre, il constata que le pique-nique était copieux. Les Français qui possédaient ces coupe-faim étaient allés à l’aventure d’une ruine romantique. L’Espagnol en profita pour dérober une bouteille de vin bouché et une poule qu’il étrangla d’une seule main. Il avait souvent tué de cette main, des Français uniquement, du moins dans ses rêves, car c’était beaucoup plus tard que Napoléon premier. Les mains prises, il se calta en vitesse et prit de la distance. D’un souffle, il se trouva au bord d’une rivière qu’il connaissait et, assis sous un olivier, il entreprit de plumer la poule avant de la faire rôtir. Le vin devait être cher, car il était excellent, mais Gonzalez ne savait pas lire.

Il s’apprêtait à un somme quand un chahut dérangea les oiseaux des trembles. On venait ! Notre Espagnol, paniqué mais joyeux, n’eut pas le temps de cacher les traces de son forfait. Il se contenta de croiser les jambes, peut-être pour dissimuler la rondeur de son ventre dont la courbe était celle du bonheur, du moins pour l’instant. Un Français, qui s’appelait peut-être Henri, arrivait sur la berge, armé d’un fort bâton de fabrication française. Il y avait sur son visage l’expression de ses sentiments les moins cordiaux. Mais Gonzalez, qui avait l’habitude des situations de guerre, tourna sa tête grise aux yeux rouges et fit face, sans se lever, à Henri qui pensait avoir trouvé son voleur d’indigène.

— Vous n’avez pas vu une poule par ici ? demanda le Français.

Son regard, évidemment, montrait les plumes que Gonzalez avait laissées dans l’herbe comme preuve à la fois de sa bêtise et de son délit. Il tenait encore la bouteille à la main.

— La poule ? dit-il d’une voix aussi efféminée que possible pour un Espagnol qui en possède une capable d’effrayer un taureau sur l’air du Toréador.

— Oui, fit le Français. La poule… MA poule !

— Ah ? La poule ? Et bien voyez, seigneur touriste, elle était là ya cinq minutes. Elle s’est déshabillée et est allée prendre un bain.

D’une seule main, Gonzalez montrait à la fois le tas de plume et l’eau tranquille de la rivière. Que croyez-vous qu’il advint ?

 

Femmelette au combat, gros con de touriste, la réputation du Français à l’étranger n’est pas toujours à la hauteur du rêve gaulliste de prestige national qui marque cette cinquième république autant à droite qu’à gauche d’ailleurs. C’est injuste, je sais !

Prenons par exemple les « victimes » françaises du volcan. Les voilà coincées dans un pays reculé comme l’Égypte. Eh bien, il faut les ramener au bercail national et payer leur supplément de séjour. Et même, leur payer des indemnités pour remplacer les salaires que leurs patrons ne leur paieront pas. Et dans la foulée, les cheminots font grève. Chacun pour soit et Dieu pour tous. C’est le principe. Bien sûr, l’indigène est un voleur qui profite de la situation. Quant aux Français qui ne sont pas partis en vacances, qu’ils y restent !

Nation d’assistés qui ne savent pas se débrouiller tout seuls, la France n’est pas meilleure en littérature. Bien sûr, on rouspète. On défend des principes. Avant même d’écrire au moins correctement. On ne se pose pas de questions sur la qualité de l’écrit, uniquement sur le fait d’écrire. Et le système n’est pas mauvais d’ailleurs, à l’image de la sécurité sociale qui porte bien son nom. En effet, l’assuré dispose sans doute des meilleurs droits au monde, il en est fier, bien qu’il ne connaisse pas le monde, il les défend par affichage et dans les faits, mais l’hôpital français est en général bien médiocre. Tel est le principe national : de bons et vrais droits et une vie de merde. Pas étonnant que seuls les plus déshérités nous envient. Et nous les pourchassons parce qu’ils nous envahissent comme la mauvaise graine.

 

Gonzalez a survécu. Il a eu de la chance. Henri avait de l’humour. Il a raconté l’histoire à ses amis. Ils sont impayables ces Espagnols ! Il y a vingt ans à peine, ils allaient en espadrilles et bouffaient des migas au lard jaune et ridé des campagnes aux routes poussiéreuses sans panneaux ni signes de progrès. Aujourd’hui, Gonzalez colporte des conneries au sujet des Français battus sur sa terre à plate couture. Il a même retrouvé Sanchez qui revient de loin lui aussi. Sanchez a une maison héritée avec ses oliviers et ses orangers. Et Gonzalez pourrait s’acheter un appartement s’il le voulait. Mais il ne veut pas. Il a choisi de mourir dehors, avec les poules qui vont se baigner dans la rivière chaque fois qu’il a faim. Il y a toujours un Français plus sérieusement attaché à son consulat qu’à ses petites possessions d’été comme le Ricard et le calendos. Non pas par générosité, car le Français est avare. Ses verres sont bien vidés. Il va au bout de ses congés payés sans laisser de place à ceux qui n’ont pas cette chance. Mais au bord des rivières espagnoles où les poules se déshabillent avant de se jeter à l’eau, on se sent bien seul quand on est français. Il vaut alors mieux se souvenir d’Henri le soldat de Napoléon, de sa malchance au fond et de son peu d’Histoire. Se dire que Gonzalez n’a pas que faim. Il est toujours dans le fil de sa propre Histoire, ce qui manque au Français, comme il lui manque une suite à son excellente littérature qui eut le temps, encore naguère, de changer un peu les couleurs du Temps. Après avoir tué la langue de Pantagruel pour faire de la place à l’aristo et à ses rêves de gentilhommière, on a aussi éliminé toute trace de modernité jusqu’à se sentir socialiste ou plus exactement enclin, comme disait Brétecher, à penser à gauche et à vivre à droite, ce qui a l’avantage de brouiller les pistes et de faire plaisir à des patrons toujours plus intransigeants question ressources humaines et religiosités patentées.

— Ils se sont fait enculer par l’Histoire, dit Sanchez en parlant de ses voisins. Tachons de ne pas suivre leur exemple. Henri ?

— Oui ?

C’est exactement ce que continue de faire Gonzalez, mais seulement avec les poules et à l’heure où elles se couchent.

Ah ! Et puis lisez la suite gratos dans

Gor Ur - Le Gorille Urinant

http://gorur.ral-m.com

 

 



[1] Ces histoires sont traditionnelles et en général très appréciées des Espagnols. On s’en excuse d’avance, en bon français.

[2] Pour la prononciation, dites « Hi Han ! » ri. Avec bouche en cul de poule.

 

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