« Je suis un homme !1
Vous me dites que le hasard n’y est pour rien et je
vous réponds que je suis un homme que le hasard a placé sur votre chemin.2
Il n’y a pas d’oiseau ici pour se cogner la tête
contre les carreaux de vos attentes et d’ailleurs il n’y a pas de carreaux
non plus.3
Vous me dites que nous sommes loin du monde auquel j’appartiens
de droit et vous me répondez que le droit n’est pas ici le moyen d’avoir
raison, au moins dans la tête de mes juges.4
Mais qui sont-ils s’ils ne sont pas des hommes, les
juges que vous interposez entre mon ignorance et la science qui semble vous
avoir permis de voyager jusqu’à nous ?5
Il n’y a pas d’arbres parce que vous n’avez pas
besoin de leurs feuillages pour abriter vos fruits et vous autoriser à dormir
en pleine après-midi.
Ignorez-vous donc ce qu’est le travail6
et ce que nous en concluons nous autres hommes imperceptibles autrement que
par les moyens que vous avez su tirer de la logique et de la matière ?
Je sais bien que rien ici ne me condamne aux travaux
forcés ni à la mort !
Mon crime vous rend curieux comme des enfants venus pour
jouer avec la connaissance limitée au sensible et dans une certaine mesure au
calcul.
Qui suis-je si je ne vous comprends pas et si vous n’êtes
pas des hommes ni des bêtes ?7
Et qui êtes-vous vous-mêmes si l’espace est sans
limites et si le temps est une illusion d’optique ?8
Ne mangez-vous pas de l’homme comme j’en mange,
cannibales extraterrestres, et ne suis-je pas le seul anthropophage ici où la
mort ne décompose plus ?9
Qu’est-ce que la mort si elle ne m’appartient pas, ô
étrangers à tout système dont je puisse comprendre le mécanisme en
fonction des données ?10
Je vous parlais de l’oiseau qui traverse la vitre pour
entrer dans ce que nous appelons depuis toujours humanité, faute d’en
savoir plus sur la résultante du rapport vie/existence.
Cet oiseau traverse la transparence artificielle de nos
rêves parce qu’il a appris à voler, alors que nous ne volons pas et que ce
sont nos avions qui volent à notre place, pauvres imitations de ce que nous
ne serons jamais.
Voulez-vous que je vous parle maintenant de mon
enfance ?11
Il est d’usage, dans la région de l’univers d’où
je viens (si je ne me trompe pas), de rechercher les circonstances atténuant
la portée juridique du crime et ainsi nous parlons à cœur ouvert de l’enfant
que nous avons été et que nous ne serons plus parce que c’est la
Loi !
Il y a bien une Loi au-dessus de vos mœurs et même de
vos créations !
Ou alors je deviens fou !12
Le hasard seul a voulu que je ressemblasse à un autre.
Mais est-ce par hasard que vous avez choisi cet autre
pour multiplier votre regard sur le monde que nous habitons depuis que vous l’avez
quitté ?13
Faut-il dire… abandonné ?
Avez-vous fui jadis, vous qui ne fuyez plus ?14
Quelle force ennemie ou contraire a vaincu le formidable
essor de votre intelligence au point de vous mettre en fuite, ô voisins dont
nous occupons la place suite à une série de hasards qui nous a peut-être
voulus et finalement gagnés ?
Sommes-nous si étrangers ?
La fourmi n’est-elle pas la cousine de l’homme ?